dimanche 30 janvier 2011

D'où vient le stress de la grossesse ?

22/05/2007

Un petit vélo dans le ventre

FOIS Giulia

Elle tourne en rond. La nuit, le jour. Des insomnies à répétition depuis sept mois, des scénarios catastrophe en boucle toute la journée. Elle se dit «envahie par une angoisse diffuse», la «tête polluée par des trucs bizarres». Elle a la trouille, un point c'est tout. Elle, c'est Mathilde, 31 ans, enceinte de son premier enfant. «Je suis heureuse quand je me projette après la naissance, quand j'imagine voir mon bébé grandir, raconte-t-elle. En attendant, j'ai peur de tout. Dans l'ordre : de la mort in utero, de l'accouchement, de la mort subite du nourrisson... Et qu'il soit capricieux. Visiblement, la plénitude de la grossesse, ça n'est pas pour moi.» C'était pourtant prévu au programme : neuf mois d'extase, ventre en avant, béatitude en bandoulière, privilège suprême de porter la vie...

Montagnes russes

«Depuis l'arrivée de la contraception, déplore Dominique Vernier, psychologue à la maternité de l'hôpital Robert-Debré, les femmes n'ont plus le droit de se plaindre : si elles sont enceintes, c'est qu'elles l'ont bien voulu.» Tais-toi et couve. «On vit avec cette idéologie du couffin rose et merveilleux, dénonce Eliette Abécassis, écrivain. Tout est forcément enchanteur, du premier au dernier jour. Bien sûr, c'est magnifique de mettre un enfant au monde... Mais c'est aussi extrêmement angoissant, parfois très dur. Or ça, personne n'en parle, ça reste complètement tabou. Résultat, on est complètement perdues à cause de ce décalage entre la réalité, et ce qu'on nous avait raconté.» Son dernier roman, Un heureux événement (1) fait donc la peau aux stéréotypes : une grossesse façon montagnes russes, une héroïne pas forcément glamour, et la trouille, d'un bout à l'autre, la trouille.
A sa sortie, l'an dernier le livre provoque une petite onde de choc. La presse s'en empare, et les forums de discussion s'enflamment sur Internet. On pousse un grand ouf de soulagement parce que, ça y est, on peut le dire : oui, les femmes enceintes sont complètement flippées. Un récent sondage TNS Sofres enfonce le clou : une femme sur deux est angoissée par la perspective de l'accouchement. Les neufs mois qui précèdent ne sont pas brillants non plus : 10 % d'entre elles connaîtraient des épisodes dépressifs, et 13 % une anxiété profonde (2) tout au long de la grossesse.

«J'étais terrifiée»

Quatre mois après son accouchement, Camille, 33 ans, se souvient ainsi d'«une angoisse constante. J'étais terrifiée avant chaque échographie. Tout tournait autour de mon ventre. J'étais sur le qui-vive en permanence, effrayée à l'idée de mettre mon enfant en danger. Je m'économisais à outrance, et à la moindre contraction je m'arrêtais net. Je devenais limite asociale, parce que je faisais hyper attention à tout ce que je mangeais : la viande toujours très cuite, jamais de crudités... Déjà que tu ne fumes plus et que tu ne bois plus, tu deviens vite une emmerdeuse !» Une consciencieuse, surtout. Camille n'a fait que suivre les nombreuses recommandations du corps médical, en augmentation exponentielle depuis une trentaine d'années.
Logiquement, les progrès de la médecine auraient dû faire reculer la peur. Il n'en est rien. Au contraire : la grossesse aujourd'hui, c'est une batterie de tests, des courbes de poids ou de température, des interdits tous azimuts, et des dogmes en cascade. La surmédicalisation flirte avec la «perfectionnite», le grand mal du siècle : «Puisqu'on en a les moyens, la grossesse est censée être parfaite, souligne Dominique Vernier. Total, les femmes qui devaient déjà être parfaites au boulot, dans leur vie, dans leur couple, doivent aussi être des mères parfaites avant même d'accoucher.»

Mal du siècle

Difficile, dans ces conditions, d'écouter grand-maman et de «faire confiance à la nature». «Tous les examens qu'on pratique aujourd'hui ont un effet clairement anxiogène, regrette Chan Huel, gynécologue obstétricienne à Robert-Debré. A force de s'entendre demander si le bébé bouge bien, cette question devient une obsession pour les patientes. Le bouleversement hormonal qu'elles vivent n'arrange rien : une femme enceinte dort plus mal, elle est facilement irritable ou triste, fragile, vulnérable. Totalement focalisée sur sa grossesse, elle devient la proie idéale pour toutes les angoisses.» Rationnelles parfois. Irrationnelles surtout. Les pires, celles qu'on ne calme pas.
Avant le troisième mois, Mathilde avait peur de faire une fausse couche. Arrivant à terme, elle est obnubilée par l'accouchement : «Même si je sais qu'il y a la péridurale, j'ai peur de perdre ma dignité, de me mettre à hurler comme une vache devant mon mec et tous ces gens que je ne connais pas, c'est horrible...» Entre les deux, Eliette Abécassis, elle, était surtout effrayée par les transformations de son corps : «Il n'est plus érotique, il redevient animal.[...]Et puis on grossit, on n'arrête pas de grossir, dans une société qui ne valorise que la minceur. J'étais plus que jamais obsédée par mon poids, sauf que là, je ne contrôlais plus rien.» L'absence de contrôle, le mot finit par être lâché. Le psychisme prend alors sa place pour donner une autre profondeur à ces angoisses récurrentes.

Ambivalence

«Les femmes d'aujourd'hui revendiquent leur indépendance et leur autonomie, explique Dominique Vernier. Or celles-ci s'accordent mal avec les bouleversements de la grossesse. Le corps se transforme, et avec lui c'est toute l'identité qui est remaniée, sans qu'on puisse freiner le processus.» Le ventre s'arrondit, et aux yeux de tous, la femme enceinte change de statut social. Elle a neuf mois pour trouver une nouvelle place dans son couple et sa lignée familiale. Neuf mois pour se préparer à assumer des responsabilités inédites, très lourdes. «Tout cela est extrêmement compliqué à gérer, poursuit la psychologue. D'où cette ambivalence très forte : on veut cet enfant, et en même temps on n'est plus très sûre. Toutes les relations humaines sont ambivalentes. Mais on a beaucoup de mal à l'accepter dans le lien mère enfant.» 

(1) Editions Albin Michel, 2005. (2) American Psychiatric Disorder.

1 commentaire:

  1. Pour ma part je pense que l'angoisse de la grossesse est principalement due à la manière dont elle est traitée.
    On ne cesse de répéter que la grossesse n'est pas une maladie, et pourtant on la traite comme telle, avec des rdv mensuels chez des médecins, des traitements, des examens...
    Sans parler de l'accouchement qui est une aussi médicalisé qu'une opération chirurgicale, même par voie basse... anesthésie, surveillance continue (fort heureusement grâce au progrès ça se fait par des machines), puis extraction par tous les moyens possibles et imaginables du bébé pour qui le corps de sa mère représente d'un coup le pire dansger qui soit.
    Et surtout, tout le long, infantilisation de la femme enceinte : tout le monde (les médecins mais aussi les amis et la famille) sait mieux qu'elle ce qui est bon pour son enfant, la moindre prise d'initiative de sa part est considérée comme absolument incongrue, déplacée et dangereuse... Négation de la responsabilité qu'elle a de sa grossesse et de son accouchement tout en précisant bien qu'après, elle sera entièrement responsable du petit être qu'elle porte...

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