INTERVIEW - En France depuis 2009, le dépistage de la trisomie 21 est obligatoirement proposé aux femmes enceintes. Mais les parents savent-ils bien à quoi ils s'exposent en l'acceptant ? Sont-ils suffisamment informés ? Anne Evrard, spécialiste de la question, membre de l'association Bien naître à Lyon est convaincue du contraire. Elle donne une conférence sur le sujet ce mercredi 15 juin à la maison des Passages (Lyon 5e).
Lyon Capitale : En quoi consiste la conférence que vous donnerez ce soir sur le dépistage anténatal avec le pédiatre Françoise Gonnaud ?
Anne Evrard : Il s'agit d'aider les parents à mieux comprendre les examens de grossesse avec l'idée, surtout, de travailler sur les enjeux des procédures de dépistage.
En quoi ces procédures de dépistage sont-elles si importantes pour vous ?
Depuis 2009, le législateur a généralisé le dépistage anténatal en France. Il l'a inscrit dans la loi. Les médecins sont donc maintenant obligés de proposer le dépistage de la trisomie 21 à leurs patientes enceintes. Une nouvelle organisation a été mise en place. Mais l'Etat ne s'est pas forcément donné les moyens de réaliser ce dépistage dans de bonnes conditions.
Qu'est-ce qui ne va pas selon vous avec ce dépistage ?
De nombreux principes éthiques sont battus en brèche, comme le principe d'autonomie et celui de non-nuisance des parents. Ces derniers doivent être autonomes pour faire leur choix, ce qui n'est pas forcément le cas car ils n'ont pas, bien souvent, toutes les informations en leur possession.
Qu'est-ce que la mauvaise information des parents engendre au final ?
Elle induit le fait que les femmes enceintes sont mal à l'aise. Quand vous êtes dans un processus qui vous est imposé, même si de vous-même vous l'auriez accepté; vous êtes mal, surtout lorsque vous êtes mal informé.
Quelle proportion de femmes est réellement porteuse d'un enfant trisomique à l'issue du dépistage ?
A peu près 5% des femmes se retrouvent « à risque » à l'issue du dépistage de la trisomie 21, dont 10% sont réellement porteuses d'un enfant trisomique au final. Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes car nous sommes actuellement en phase d'évaluation de la loi de 2009. La proportion de faux positifs s'établit donc à 80% environ. C'est mieux que dans l'organisation précédente où ce taux montait jusqu'à 99%.
Que reste-t-il à faire pour améliorer les conditions de ce dépistage selon vous ?
C'est très bien de proposer systématiquement ce test, dans le respect du principe d'équité. Mais cela ne veut pas dire que les médecins donnent les bonnes informations aux parents. Un nombre encore conséquent de parents n'ont pas conscience du choix qu'ils seront amenés à faire si le dépistage se révèle positif. Au final, c'est toujours un choix de vie ou de mort sur un enfant à naître ! En France, actuellement, 96% des parents qui sont porteurs d'un enfant trisomique choisissent l'interruption de grossesse. C'est un pourcentage qui est extrêmement élevé, sans doute plus élevé que dans d'autres pays, et qui pose la question du déficit de temps dans la prise de décision. Mais refuser un dépistage n'est pas toujours bien vu, refuser un diagnostic non plus. Pourtant, si on informait mieux les parents, nous pensons qu'un plus grand nombre refuserait le dépistage.
Combien de parents refusent le dépistage ?
A peu près 20% des parents ne font pas le dépistage de la trisomie 21. On se sait pas dire quelle proportion le refuse et quelle proportion le rate parce qu'ils s'y prennent trop tard.
Les médecins sont-ils à l'aise avec ce dépistage ?
C'est quelque chose qu'ils maîtrisent parfois mal. Ils ne savent pas quelles informations ils peuvent donner aux parents, et quelles informations ils doivent garder. Ils ne savent pas non plus comment expliquer ce qu'ils mesurent, comment on peut avoir une grossesse « à risque » et pourtant avoir une grossesse normale, etc. Et puis il y a un autre problème, de l'ordre du fantasme : les médecins ont peur de se payer un procès s'ils ratent un enfant trisomique, ce qui n'est pas justifié statistiquement car malgré le recul de l'âge du premier enfant en France, il n'y a pas plus de grossesses trisomiques en aujourd'hui. Mais du coup, les médecins se retrouvent parfois à être très intrusifs sur ces questions de dépistage. Ils encouragent les parents à le faire, ils suggèrent. Alors qu'ils n'ont pas à le faire ! Ils sont même surpris lorsque les parents n'empruntent pas la voie royale : biopsie (avant 13 SA) et amniosynthèse (avant 15 SA) qui donnent des possibilités de diagnostique précoce.
Que proposez-vous pour changer les choses ?
Ce qui nous semblerait important dans notre fédération d'associations, au Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE), c'est de poser réellement la question ; est-ce qu'on veut dépister 100% des trisomiques en France, est ce qu'on veut plus ou moins de trisomiques? Est ce qu'on est dans une société qui accepte la différence ? Actuellement on a mis un dépistage dans une loi et tout se passe comme si c'était une évidence, ce qui n'est pas le cas. Il n'y a pas d'un côté les pro-life et de l'autre, des gens que se foutent de savoir qui naît ou pas, c'est plus complexe que cela. Au minimum, on a besoin d'en parler. Au Québec, ils ont fait une grande consultation nationale sur ces questions. Nous aimerions que l'on fasse de même en France.
Le cardinal archevêque de Paris, Monseigneur André Vingt-Trois, n'hésite pas à parler "d'eugénisme d'État" sur ces questions de dépistage systématique de la trisomie 21, qu'en pensez-vous ?
Il pourrait exister si l'État avait rendu le dépistage obligatoire. Mais ce n'est pas le cas, heureusement. Il a seulement rendu la proposition de dépistage obligatoire. Mais il peut y avoir un eugénisme de fait, si les parents n'ont pas en main toutes les clés pour faire leur choix. Ce que nous demandons, c'est que l'on laisse une vraie liberté de choix aux parents.
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Infos pratiques : Conférence : Le dépistage anténatal – Quelle place dans le suivi de grossesse ? Le mercredi 15 juin à 20h00 à la Maison des Passages 44, rue St Georges Lyon 5e. 7 euros l'entrée. 5€ adhérents et tarif réduit. Réservation obligatoire sur le site lacausedesparents.org. Conférence animée par le Dr Françoise Gonnaud (pédopsychiatre à l’Hôpital de la Croix-Rousse) et Anne Evrard (de l’association Bien Naître, Lyon).
Lyon Capitale : En quoi consiste la conférence que vous donnerez ce soir sur le dépistage anténatal avec le pédiatre Françoise Gonnaud ?
Anne Evrard : Il s'agit d'aider les parents à mieux comprendre les examens de grossesse avec l'idée, surtout, de travailler sur les enjeux des procédures de dépistage.
En quoi ces procédures de dépistage sont-elles si importantes pour vous ?
Depuis 2009, le législateur a généralisé le dépistage anténatal en France. Il l'a inscrit dans la loi. Les médecins sont donc maintenant obligés de proposer le dépistage de la trisomie 21 à leurs patientes enceintes. Une nouvelle organisation a été mise en place. Mais l'Etat ne s'est pas forcément donné les moyens de réaliser ce dépistage dans de bonnes conditions.
Qu'est-ce qui ne va pas selon vous avec ce dépistage ?
De nombreux principes éthiques sont battus en brèche, comme le principe d'autonomie et celui de non-nuisance des parents. Ces derniers doivent être autonomes pour faire leur choix, ce qui n'est pas forcément le cas car ils n'ont pas, bien souvent, toutes les informations en leur possession.
Qu'est-ce que la mauvaise information des parents engendre au final ?
Elle induit le fait que les femmes enceintes sont mal à l'aise. Quand vous êtes dans un processus qui vous est imposé, même si de vous-même vous l'auriez accepté; vous êtes mal, surtout lorsque vous êtes mal informé.
Quelle proportion de femmes est réellement porteuse d'un enfant trisomique à l'issue du dépistage ?
A peu près 5% des femmes se retrouvent « à risque » à l'issue du dépistage de la trisomie 21, dont 10% sont réellement porteuses d'un enfant trisomique au final. Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes car nous sommes actuellement en phase d'évaluation de la loi de 2009. La proportion de faux positifs s'établit donc à 80% environ. C'est mieux que dans l'organisation précédente où ce taux montait jusqu'à 99%.
Que reste-t-il à faire pour améliorer les conditions de ce dépistage selon vous ?
C'est très bien de proposer systématiquement ce test, dans le respect du principe d'équité. Mais cela ne veut pas dire que les médecins donnent les bonnes informations aux parents. Un nombre encore conséquent de parents n'ont pas conscience du choix qu'ils seront amenés à faire si le dépistage se révèle positif. Au final, c'est toujours un choix de vie ou de mort sur un enfant à naître ! En France, actuellement, 96% des parents qui sont porteurs d'un enfant trisomique choisissent l'interruption de grossesse. C'est un pourcentage qui est extrêmement élevé, sans doute plus élevé que dans d'autres pays, et qui pose la question du déficit de temps dans la prise de décision. Mais refuser un dépistage n'est pas toujours bien vu, refuser un diagnostic non plus. Pourtant, si on informait mieux les parents, nous pensons qu'un plus grand nombre refuserait le dépistage.
Combien de parents refusent le dépistage ?
A peu près 20% des parents ne font pas le dépistage de la trisomie 21. On se sait pas dire quelle proportion le refuse et quelle proportion le rate parce qu'ils s'y prennent trop tard.
Les médecins sont-ils à l'aise avec ce dépistage ?
C'est quelque chose qu'ils maîtrisent parfois mal. Ils ne savent pas quelles informations ils peuvent donner aux parents, et quelles informations ils doivent garder. Ils ne savent pas non plus comment expliquer ce qu'ils mesurent, comment on peut avoir une grossesse « à risque » et pourtant avoir une grossesse normale, etc. Et puis il y a un autre problème, de l'ordre du fantasme : les médecins ont peur de se payer un procès s'ils ratent un enfant trisomique, ce qui n'est pas justifié statistiquement car malgré le recul de l'âge du premier enfant en France, il n'y a pas plus de grossesses trisomiques en aujourd'hui. Mais du coup, les médecins se retrouvent parfois à être très intrusifs sur ces questions de dépistage. Ils encouragent les parents à le faire, ils suggèrent. Alors qu'ils n'ont pas à le faire ! Ils sont même surpris lorsque les parents n'empruntent pas la voie royale : biopsie (avant 13 SA) et amniosynthèse (avant 15 SA) qui donnent des possibilités de diagnostique précoce.
Que proposez-vous pour changer les choses ?
Ce qui nous semblerait important dans notre fédération d'associations, au Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE), c'est de poser réellement la question ; est-ce qu'on veut dépister 100% des trisomiques en France, est ce qu'on veut plus ou moins de trisomiques? Est ce qu'on est dans une société qui accepte la différence ? Actuellement on a mis un dépistage dans une loi et tout se passe comme si c'était une évidence, ce qui n'est pas le cas. Il n'y a pas d'un côté les pro-life et de l'autre, des gens que se foutent de savoir qui naît ou pas, c'est plus complexe que cela. Au minimum, on a besoin d'en parler. Au Québec, ils ont fait une grande consultation nationale sur ces questions. Nous aimerions que l'on fasse de même en France.
Le cardinal archevêque de Paris, Monseigneur André Vingt-Trois, n'hésite pas à parler "d'eugénisme d'État" sur ces questions de dépistage systématique de la trisomie 21, qu'en pensez-vous ?
Il pourrait exister si l'État avait rendu le dépistage obligatoire. Mais ce n'est pas le cas, heureusement. Il a seulement rendu la proposition de dépistage obligatoire. Mais il peut y avoir un eugénisme de fait, si les parents n'ont pas en main toutes les clés pour faire leur choix. Ce que nous demandons, c'est que l'on laisse une vraie liberté de choix aux parents.
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Infos pratiques : Conférence : Le dépistage anténatal – Quelle place dans le suivi de grossesse ? Le mercredi 15 juin à 20h00 à la Maison des Passages 44, rue St Georges Lyon 5e. 7 euros l'entrée. 5€ adhérents et tarif réduit. Réservation obligatoire sur le site lacausedesparents.org. Conférence animée par le Dr Françoise Gonnaud (pédopsychiatre à l’Hôpital de la Croix-Rousse) et Anne Evrard (de l’association Bien Naître, Lyon).
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