samedi 16 janvier 2010

Diagnostic prénatal non invasif : avancées historiques, obstacles et espoirs

Source : Ciane Wiki

Diagnostic prénatal non invasif : avancées historiques, obstacles et espoirs

Prescrire, 312, p.792-793 (octobre 2009)

Le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) défend le droit des usagers à l’information loyale, à l’exercice du consentement éclairé et à la prise en compte de leurs demandes lors des décisions médicales qui les concernent (a)(1). Dans ce contexte, il suit avec attention les travaux de recherche visant à améliorer le diagnostic prénatal des maladies chromosomiques et des anomalies génétiques.

Dépistage de la trisomie 21 : 500 à 700 fœtus indemnes perdus lors d'amniocentèses

Le dépistage actuel de la trisomie 21 en deux étapes (sérologique + échographique, suivies éventuellement de l’amniocentèse) est proposé à toutes les femmes enceintes. Il conduit la population considérée à risque sur la base de la première étape (actuellement 11% des femmes enceintes qui ont accepté le dépistage, soit environ 80 000 femmes par an) à accepter ou non le diagnostic invasif (amniocentèse) qui comporte un risque d’environ 1% de fausses couches (2). Au moins 98% des fœtus ainsi « perdus » sont indemnes d’anomalie chromosomique. Une expérimentation menée dans les Yvelines en 2001-2002 a démontré la possibilité de réduire à moins de 5% l’indication d’amniocentèse grâce à une meilleure stratégie de la première étape de dépistage de la trisomie 21 (3). À la demande de la Direction générale de la santé (DGS), du Collège national des gynécologues obstétriciens français (Cngof) et du Ciane, la Haute autorité de santé (HAS) a publié, fin 2007, une recommandation en santé publique s’appuyant sur ces travaux et d’autres données de la littérature scientifique (4). Malgré cette avancée, 500 à 700 fœtus qui ne sont atteints d'aucune pathologie sont perdus chaque année.

Une méthode non invasive prometteuse, par détection de cellules fœtales dans le sang maternel

En 2003, le Ciane avait pris connaissance d’un programme mené par l’unité Inserm U807 sous la direction de Patrizia Paterlini-Bréchot. Cette équipe de recherche a mis au point une technique d’enrichissement cellulaire par la taille (ISET, Isolation by Size of Epithelial Tumor/Trophoblastic cells) permettant d’isoler de façon très sensible les rares cellules fœtales (trophoblastiques) circulant dans le sang maternel (b)(5). L’extraction à l’aide d’un microscope à laser des cellules présumées trophoblastiques et leur caractérisation par la technique des empreintes génétiques permet d’identifier les cellules dont la nature fœtale est certaine. Pour toute maladie génétique ou anomalie chromosomique, un diagnostic fiable peut alors être établi par analyse de leur ADN (6,7,8). Cette méthode a déjà été validée techniquement et cliniquement pour le diagnostic prénatal non invasif (sur simple prise de sang maternel) de l’amyotrophie spinale (SMA) et de la mucoviscidose, et techniquement seulement pour la trisomie 21 (9,10).

Imbroglio public-privé

La validation clinique du test ISET pour le diagnostic non invasif de la trisomie 21 a fait l’objet en 2006 d’un programme de recherche en partenariat public/privé (Inserm/Métagénex) auquel l’Agence nationale de la recherche (ANR) avait accordé un financement de 600 K€. C’est alors qu’un désaccord est survenu entre l’Inserm et la direction de la société Métagénex, suite au feu vert donné par celle-ci à la commercialisation du test ISET pour le dépistage de cancer en l’absence de toute validation clinique et malgré de graves erreurs de diagnostic (11).
Les péripéties de la controverse qui a suivi sont documentées sur le site internet du Ciane (12) : refus des institutions publiques de céder à la société Métagénex les derniers brevets concernant l’ISET si elle persiste à permettre la commercialisation du test non validé pour le cancer ; refus par Métagénex de signer la convention pour la mise en place du projet financé par l’ANR ; enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les rapports entre l’Inserm et Métagénex, en septembre 2007. Sans prendre en compte les questions de santé publique, cette enquête conclut à une situation de conflit d’intérêts : C. Bréchot, dont l’épouse est inventeur de l’ISET et actionnaire de Métagénex, est alors directeur de l’INSERM. Soumis à l’injonction de signer le contrat de cession des brevets sans engagement de la compagnie à valider les tests avant leur commercialisation, il démissionne en octobre 2007. Pour finir, le programme ANR pour la validation du test de la trisomie 21 est annulé fin 2008, Métagénex n’ayant pas accepté de signer la convention malgré qu’elle ait obtenu en juin 2008 une licence mondiale et exclusive pour l’exploitation du procédé ISET.

Espoir et attentes des usagers

Après la validation clinique (phase III) du diagnostic prénatal par ISET de l’amyotrophie spinale, de nouvelles résistances sont apparues contre sa mise à disposition des femmes enceintes dans un cadre de recherche biomédicale interventionnelle avec analyse de la balance bénéfices-risques. Un financement aurait pu être demandé à l’Agence de Biomédecine et aux associations concernées (13), mais le laboratoire de Génétique médicale de Necker n’a pas pris cette initiative. Interpellé par le Ciane, son directeur J.-P. Bonnefont fait état de « difficultés inhérentes aux différents avatars … qui nuisent à la sérénité indispensable à la mise en œuvre … d’une technique entièrement nouvelle… » (14). Ces difficultés se reproduisent avec les mêmes causes pour le test ISET de la mucoviscidose.
Les futurs parents des groupes à risque d’amyotrophie spinale ont exprimé leur déception et leur colère ; une lettre ouverte (à ce jour sans réponse) a été adressée au Président de la République et à la Ministre de la Santé (15). La technologie, le savoir-faire et les financements sont disponibles, mais la volonté des pouvoirs publics semble faire défaut.
Fin 2008, un nouveau projet de validation du diagnostic prénatal non invasif de la trisomie 21 a été soumis au Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) avec un volet de comparaison entre la méthode ISET et une méthode, publiée mais non validée, de séquençage à haut débit de l’ADN fœtal libre (16,17).
Contacté à plusieurs reprises par le Ciane, le président du Directoire de Métagénex, M. David Znaty, ne s’est pas expliqué sur son retrait d’un projet valorisant une méthode issue de la recherche publique, dont sa société détient la licence exclusive, renonçant par ailleurs à un financement substantiel qui lui avait été octroyé par l’ANR. La stratégie commerciale des dirigeants et investisseurs de cette société (Axa Private Equity et Banexi Ventures Partners) relève de la plus grande opacité puisque le contrat de licence qu’elle a signé avec les organismes propriétaires des brevets (Inserm, Inserm Transfert, AP-HP, Université Paris Descartes) n’est pas accessible au public (18). L’absence de dépôt du document à l’INPI rend la licence non opposable aux tiers par la compagnie, exposant ainsi ces méthodes pointues à la contrefaçon (19). Pourquoi une entreprise prendrait-elle ce risque si elle avait réellement la volonté d’exploiter sa licence ? Nous n’arrivons pas à imaginer de réponse plausible à cette question.
Malgré ces difficultés, le Ciane milite pour que le transfert aux usagers des tests validés soit réalisé le plus rapidement possible et que la validation clinique du test de la trisomie 21 soit menée à terme dans les meilleures conditions. Il s’agit d’augmenter la sécurité des dépistages pour les parents qui en font le choix, qu'ils décident ou non d'interrompre la grossesse.
Bernard Bel
Ingénieur de Recherche (13)
a - Pour en savoir plus sur le Ciane, site internet http://ciane.naissance.asso.fr , et lire aussi la réf.1.
b - Cette technique permet également de détecter des cellules tumorales circulant dans le sang (réf. 20, 21).

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