30 mai 2010 10h41 | Par odile faurE |
Une sage-femme jugée par ses pairs
Suite à la mort d'un bébé à Ainhoa, une Béarnaise est convoquée devant le Conseil de l'ordre des sages-femmes.
La sage-femme Marie-Line Pérarnaud et son compagnon, William Agnero, membre du comité de soutien. photo thierry suire
( Suire Thierry)
( Suire Thierry)
Mardi 1er juin, Marie-Line Pérarnaud, spécialisée dans les accouchements à domicile, sera auditionnée par le Conseil national de l'ordre des sages-femmes, à Paris. Une épreuve cruciale pour cette professionnelle médicale qui a accompagné de nombreux couples et mis au monde une centaine de bébés à la maison. Depuis novembre 2009, un comité de soutien, composé de parents et de professionnels, a déjà récolté 1 068 signatures sur une pétition nationale lancée sur Internet et 282 pétitions papier.
Mardi, la sage-femme devra une nouvelle fois s'expliquer sur une affaire qui remonte à 1999. Le 8 décembre de cette année, elle est appelée par une de ses patientes pour un accouchement à domicile, à Ainhoa, au Pays basque, à 45 minutes de l'hôpital le plus proche, Bayonne. La famille est prête et accompagnée depuis plusieurs mois. L'accouchement se présente bien, la maman est en bonne santé. Quelques heures avant l'expulsion, la sage-femme n'entend plus le cœur du fœtus. À l'arrivée, le bébé ne respire plus. L'autopsie établira que l'enfant est décédé d'une « anoxie cérébrale ». C'est un bébé mort-né.
Légal, mais marginalisé En 2009, 2 000 naissances à domicile ou réalisées sur un plateau technique par une sage-femme libérale sur 803 000 naissances françaises ont été pratiquées. Dans le département, le chiffre est dérisoire. Seules deux sages-femmes libérales pratiquent les accouchements à la maison. « Nous sommes toujours dans la même difficulté », explique Laurence Platel, président de l'Association française des sages-femmes libérales. « L'accouchement à domicile est tout à fait légal. Il fait partie des compétences de la sage-femme, il a une cotation à la Sécurité sociale, l'acte est remboursé, mais depuis 2002, nous avons une obligation d'assurance, sauf que pour nous la souscription annuelle s'élève à 19 000 € ! Ceci n'encourage pas la pratique. » Laurence Platel pointe la « méconnaissance de l'exercice. Il n'y a pas plus de risques, mais les sages-femmes libérales se sentent de plus en plus exclues ».
Placée en garde à vue immédiatement après les faits, privée du droit provisoire d'exercer, la sage-femme sera jugée trois ans après par le tribunal correctionnel de Bayonne. Elle sera relaxée. La justice établira que s'il y a eu « des imprudences et des négligences », il n'y a pas de « fautes caractérisées » qui auraient entraîné le décès du bébé. Une décision confirmée par la cour d'appel de Pau, le 18 septembre 2003. Celle-ci lui restitue son matériel. En revanche, la sage-femme doit payer 41 000 € de dommages à la famille.Marie-Line Pérarnaud échappera donc à la sanction pénale et à l'interdiction d'exercer. Elle reprendra de façon plus ponctuelle les accouchements à domicile dans la région, une trentaine, sans qu'aucun problème ne soit soulevé.
Le Conseil départemental de l'ordre des sages-femmes basé à Bayonne, n'a pas voulu en rester là. Avec la famille, il a demandé à la chambre disciplinaire du Conseil interrégional de l'ordre des sages-femmes, à Toulouse, de sanctionner la professionnelle. La chambre disciplinaire l'a suivi et, en 2009, a radié définitivement la sage-femme libérale au motif « d'imprudence et des négligences ».
La sage-femme a fait appel et comparaîtra donc mardi à Paris, lors d'une audience publique. Une dizaine de parents feront le voyage.
Son avocate, Me Marie-Elisabeth Ducruc-Niox, va soulever des erreurs de procédures : « jugement de Toulouse non signé par la présidente, irrégularité de la composition de la chambre qui ne comprenait pas de sage-femme libérale, absence de conciliation avant la première instance ». Enfin, elle pointera « l'absence de conciliation avant la première instance ».
Elle va également déposer une requête pour question prioritaire de consitutionnalité, estimant que le Conseil de l'ordre « ne peut être juge et partie ». Si elle est suivie, cette jurisprudence pourrait avoir des effets sur tous les Conseils de l'ordre.
Sur le fond, Me Ducruc-Niox rappellera que le motif de radiation a déjà été évoqué au pénal, que la sage-femme a été relaxée. « Même si nous sommes plein de compassion pour la famille, on est à dix ans des faits. La justice pénale a déjà été rendue. Il semble évident que l'Ordre des sages-femmes ne veut pas de sages-femmes libérales qui pratiquent les accouchements à domicile. Pour les mêmes motifs, la chambre disciplinaire de Toulouse n'a donné qu'un blâme à une sage-femme libérale… car elle avait décidé de reprendre les accouchements en milieu hospitalier. »
Nous n'avons pas réussi à joindre une conseillère de l'Ordre des sages-femmes ni le Conseil départemental. La présidente du Conseil interrégional n'a pas souhaité s'exprimer.
« Différemment ne veut pas dire illégalement » « Je me suis repassé 10 000 fois l'accouchement, réfléchi à des choses que je n'aurais pas faites. C'est très traumatisant pour les parents. Et moi je suis encore perturbée par ça. C'est traumatisant d'accoucher un bébé décédé. C'est un choc. La procédure se rajoute au choc. » Marie-Line Pérarnaud ne parvient pas à poursuivre. L'émotion est trop forte. Un membre du comité de soutien, Maryline Girard, vient à sa rescousse. « Depuis dix ans, nous refaisons suffisamment le déroulé pour voir qu'il n'y a pas eu de fautes. »
Elle dénonce un « harcèlement, une chasse aux sorcières. Ils ont une femme à abattre ». Pour preuve, le zèle avec lequel le Conseil de l'ordre aurait fait « faire des faux témoignages à des jeunes mamans qui ont accouché avec Marie-Line ». Des pièces ont été versées au dossier juridique, confirmées par l'avocate de la sage-femme, Me Ducruc-Niox, qui parle de « faits très graves ».
Marie-Line Pérarnaud a « beaucoup de colère. Ce qui est arrivé est déjà traumatisant, mais là, on veut me faire passer pour ce que je ne suis pas ».
Elle ne demande qu'une chose, « avoir de bonnes relations avec mes collègues. Nous avons le même diplôme. Or cela fait dix ans que je dois faire la preuve que je suis compétente. Tout ça parce que je ne travaille pas comme elles. Travailler différemment ne veut pas dire illégalement. On dirait qu'il y a des super sages-femmes et les sages-femmes de seconde zone. »
Carine Lefèvre, sage-femme à l'hôpital de Pau et membre du comité de soutien, a aussi son point de vue. « Ce qui dérange, c'est que les sages-femmes libérales sont indépendantes, qu'elles n'ont pas de médecins au-dessus. Elles mettent avant tout les parents en avant, les aident à faire des choix. Elles respectent finalement le mieux la loi Kouchner d'aider les patients à faire des choix éclairés. »
William Agnero, compagnon de Marie-Line, lui-même médecin, estime que Marie-Line « dérange ». « Elle pratique l'accouchement à domicile, mais elle le défend, elle en parle. C'est une militante ».
Marie-Line et les membres de l'association Cœur de famille sont en effet à l'origine du projet de la Maison de naissance à Pau. Un projet pilote qui devait permettre à des femmes d'accoucher dans ce lieu, hors de l'hôpital. La Maison de naissance n'a pour l'instant jamais bénéficié d'une autorisation. Pour l'heure, seules les mamans peuvent être accompagnées.
O. F.
Elle dénonce un « harcèlement, une chasse aux sorcières. Ils ont une femme à abattre ». Pour preuve, le zèle avec lequel le Conseil de l'ordre aurait fait « faire des faux témoignages à des jeunes mamans qui ont accouché avec Marie-Line ». Des pièces ont été versées au dossier juridique, confirmées par l'avocate de la sage-femme, Me Ducruc-Niox, qui parle de « faits très graves ».
Marie-Line Pérarnaud a « beaucoup de colère. Ce qui est arrivé est déjà traumatisant, mais là, on veut me faire passer pour ce que je ne suis pas ».
Elle ne demande qu'une chose, « avoir de bonnes relations avec mes collègues. Nous avons le même diplôme. Or cela fait dix ans que je dois faire la preuve que je suis compétente. Tout ça parce que je ne travaille pas comme elles. Travailler différemment ne veut pas dire illégalement. On dirait qu'il y a des super sages-femmes et les sages-femmes de seconde zone. »
Carine Lefèvre, sage-femme à l'hôpital de Pau et membre du comité de soutien, a aussi son point de vue. « Ce qui dérange, c'est que les sages-femmes libérales sont indépendantes, qu'elles n'ont pas de médecins au-dessus. Elles mettent avant tout les parents en avant, les aident à faire des choix. Elles respectent finalement le mieux la loi Kouchner d'aider les patients à faire des choix éclairés. »
William Agnero, compagnon de Marie-Line, lui-même médecin, estime que Marie-Line « dérange ». « Elle pratique l'accouchement à domicile, mais elle le défend, elle en parle. C'est une militante ».
Marie-Line et les membres de l'association Cœur de famille sont en effet à l'origine du projet de la Maison de naissance à Pau. Un projet pilote qui devait permettre à des femmes d'accoucher dans ce lieu, hors de l'hôpital. La Maison de naissance n'a pour l'instant jamais bénéficié d'une autorisation. Pour l'heure, seules les mamans peuvent être accompagnées.
O. F.