mercredi 2 juin 2010

Chantal Birman, l'interview

Source :projetdenaissance.com


Interview de Chantal Birman, sage-femme à la maternité des Lilas. Propos recueillis par Catherine Marchi pour le magazine Parents lors de la sortie du livre Au Monde, aux éditions de La Martinière en février 2003.
 
« Sage-femme, c'est le plus beau métier du monde ! A condition de pouvoir accompagner pleinement et jusqu'au bout les futures mamans qui vont vivre cet événement extraordinaire qu'est un accouchement. »  
 
Dans son livre (réédité au format poche en 2009), Chantal Birman se bat pour rendre à la naissance d'un enfant sa dimension humaine face à l'hypermédicalisation.

Parents : Pourquoi avez-vous eu envie de parler de votre métier de sage-femme ?

Chantal Birman : J'avais le désir de raconter mon expérience (trente-trois ans de pratique) et de livrer le fruit de mes réflexions. Mais surtout, je veux dire mon éblouissement devant la force des femmes ! Mettre au monde des enfants est extrêmement difficile. Les attendre, les enfanter, les allaiter et ensuite les éduquer demande un courage et une énergie incroyables. Quand on sait que les femmes sont performantes dans leur job, qu'elles investissent autant leur vie professionnelle que la maternité, on ne peut qu'être impressionnée.

Parents : Qu'est-ce qui a le plus changé chez les femmes en trente ans ?

C.B. : Leurs peurs et leurs préoccupations se sont déplacées. Les femmes sont devenues plus exigeantes, plus individualistes et réclament davantage de confort dans l'accueil à la maternité. Il y a trente ans, c'était la douleur de l'accouchement qu'elles redoutaient par-dessus tout. Aujourd'hui, elles ont moins peur, car la proposition de la péridurale a diminué ce qui était terriblement craint. Paradoxalement, malgré les diagnostics anténataux et les examens plus poussés pendant la grossesse - en particulier les échographies -, les peurs autour de la malformation n'ont pas beaucoup diminué. Les femmes savent que les moyens d'investigation ne sont pas infaillibles

Parents : Qu'attendent-elles de leur sage-femme ?

C.B. : Mon métier est de les préparer à la naissance et d'expliquer tout ce qui va se passer physiologiquement : le pré-travail, comment on sent qu'il faut partir à la maternité, la rupture de la poche des eaux, les contractions, la respiration, l'expulsion... Je suis là également pour leur redonner confiance, leur confirmer que je crois en elles dans les moments où elles doutent d'être à la hauteur. Il y a beaucoup de périodes de doutes, plus ou moins exprimées. Par exemple, les grosses fatigues pendant la grossesse sont des équivalents de moments de déprime. S'il est important de préparer les futures mamans à ce qu'elles vont vivre physiquement mon rôle est aussi de les préparer aux états émotionnels qu'elles vont traverser.

Parents : Quel genre d'émotions vivent-elles ?

C.B. : Il y a des phénomènes émotionnels transgénérationnels. Il se joue là des choses qui sont de l'ordre de l'histoire de l'humanité. On change de case, ce n'est pas rien pour une fille de devenir mère, pour une mère de devenir grand-mère, pour une grand-mère de devenir arrière grand-mère, pour un fils de devenir père... Il faut du temps, ces événements de la vie marquent profondément toute la cellule familiale. L'accouchement, c'est une séparation. Il va donc y avoir des phénomènes douloureux, des émotions, et la façon de les vivre sera différente d'une femme à l'autre.

Parents : Vous pouvez aider une femme à mieux gérer ses émotions ?

C.B. : J'explique aux femmes qu'elles peuvent être actives, libres, qu'elles ont un vrai pouvoir sur leur accouchement et que la douleur ne sera pas vécue de la même façon selon leur état d'esprit. Par exemple, si on prend deux femmes, l'une très jeune, et une autre de 40 ans qui attendent toutes les deux leur premier bébé, la plus jeune va vivre sa grossesse de manière plutôt décontractée. Elle va arriver à la maternité après plusieurs heures de contractions, à 6 centimètres d'ouverture du col, trois heures avant d'accoucher. Si vous lui demandez combien de temps elle a mis pour accoucher, elle vous répondra trois heures. Dans les mêmes circonstances, la femme de 40 ans est plus anxieuse, c'est un enfant "précieux" , car elle sait qu'elle n'en aura peut-être pas d'autre. Dès la première contraction, elle prépare ses affaires, à la deuxième contraction, elle saute dans sa voiture et, après coup, elle vous dira que son
accouchement a duré quatorze heures, que c'était horriblement long, difficile, pénible... Effectivement il y a eu quatorze heures entre la première contraction et la délivrance. L'accouchement de ces deux femmes est identique, mais le "vécu" est diamétralement opposé.

Parents : Le pré-travail est donc très important ?

C.B. : La façon dont les femmes vivent le pré-travail va conditionner tout l'accouchement. C'est la période la plus longue, surtout pour un premier bébé. Toutes y gagneraient si elles prenaient leur temps, si elles pensaient à regarder la télé, à se détendre, à aller se balader, à attendre tranquillement, à mettre les dernières affaires dans leur valise. Ce temps-là est gagné sur la naissance et aide à se mettre dans de bonnes conditions pour accoucher.

Parents : Mais est-ce qu'il n'y a pas un risque d'accoucher à la maison ?

C.B. : Pour un premier bébé, le risque est quasiment nul. Il faut simplement apprendre aux femmes à repérer les signes vraiment pathologiques qui signifient qu'il faut impérativement aller à la maternité, ce qui n'en concerne que très peu en réalité. Un moyen infaillible de faire la différence entre le moment où le col est à 4-5 centimètres d'ouverture et celui où il est perméable à un ou deux doigts, c'est qu'on ne se pose plus la question, on fonce ! Quand les contractions se rapprochent et s'intensifient, tant que vous vous demandez : "Est-ce que je dois aller à la maternité ?", c'est qu'il n'est pas encore temps. Ce type de préparation à visage humain est en train de disparaître, il y a de moins en moins de sages-femmes disponibles, alors que c'est essentiel.

Parents : Vous vous révoltez beaucoup contre l'hypermédicalisation de la grossesse et de l'accouchement...

C.B. : A l'heure actuelle, avec la place de plus en plus importante que prend la technologie,l'humanité disparaît des salles d'accouchement. Les médecins parlent de physiologie, de pathologie, mais jamais des émotions qui traversent les femmes. La médecine a un peu gommé l'aspect initiatique de l'accouchement. On vous fait une anesthésie, on vous déclenche, d'une certaine façon vous vous retrouverez avec un bébé dans un lit à côté de vous sans aucune préparation psychologique. Il y a quelque chose de violent là-dedans. Et pourtant, ces pratiques médicales sont là pour soi-disant gommer la violence dans l'acte de mettre au monde. La femme, qui n'aura rien vu, rien senti, est privée des étapes essentielles pour se préparer à avoir un enfant.Pendant le neuvième mois de grossesse, le désir d'accouchement monte peu à peu. Mais quand on entre dans cette logique du déclenchement, on ne laisse pas venir ce désir de délivrance.

Parents : Vous remettez aussi en cause de la péridurale ?

C.B.: Je ne travaillerai jamais dans un endroit où il n'y a pas de péridurale. J'ai vu des femmes cassées par la douleur, c'est terrible ! Mais une fois qu'on a dit cela, je trouve inadmissible d'anesthésier tout le monde. La douleur d'accoucher est supportable, vivable. La plupart des femmes sont capables d'attendre un enfant et d'accoucher sans aucun problème. Aller à la rencontre de cette femme-là est un événement fondamental de la vie. Le regard que les gens portent sur les futures mamans a changé. Avant on disait : il est en avant, c'est un garçon, il est bas, c'est une petite fille. Aujourd'hui on y voit une menace d'accouchement prématuré. Les femmes ont adopté le discours médical puisqu'elles n'entendent que ce discours-là.

Parents : Est-ce qu'une sage-femme "prépare" aussi le père ?

C.B. : Beaucoup de pères sont intéressés par la naissance de leur enfant. Le fait d'être enceinte et d'accoucher est exclusivement féminin, ce n'est pas un scoop. Mais avoir un enfant n'est pas exclusivement féminin. Les hommes sont souvent très perturbés par la paternité, mais c'est encore difficile pour eux de parler de ces choses-là, car il y une pudeur sociale. C'est comme s'il y avait un risque de perte de virilité à se confier.

Parents : Quel est votre rôle pendant l'accouchement ?

C.B. : Quand l'accouchement se déroule normalement, je suis presque de trop. Tout va bien, ces gens-là s'aiment, la dilatation se passe bien, l'accouchement aussi, le bébé est beau, c'est simple, je n'ai aucune responsabilité dans tout cela. Mon rôle consiste alors à les laisser jouir de leur félicité et à m'assurer qu'on ne va pas les embêter. Je m'éclipse. Partager avec eux ces moments serait de l'impudeur. Ils ont besoin de vivre à leur rythme, de se parler. L'homme peut éventuellement pleurer avec sa femme et son bébé, sans être regardé. S'il y a du monde, il va ravaler ses larmes, se faire discret. Ce serait dommage...

Parents : Vous trouvez que les médecins banalisent beaucoup l'accouchement ?

C.B. : Oui. Pour chacune, c'est un événement exceptionnel, un bouleversement. Faire des usines à accoucher, baliser, médicaliser, tout prendre en charge comme on le fait aujourd'hui, c'est amputer la vie des gens d'une dimension essentielle. Chaque femme peut apprendre des choses sur elle-même. Si l'accouchement est imposé par des produits, il ne correspondra jamais à son histoire, à l'histoire de son bébé. Elle ne pourra pas l'intégrer dans sa féminité.

Parents : Vous prônez le retour au naturel et les maisons de naissance...

C.B. : Les femmes y ont intérêt car ce qui leur est proposé ailleurs est triste. Elles sont dans la terreur qu'il leur arrive quelque chose et les médecins leur font croire au risque zéro. Ils leur donnent la garantie que si leur accouchement est hypermédicalisé, il ne leur arrivera rien, ce qui est faux ! Les femmes deviennent anxieuses alors qu'elles possèdent un savoir enfoui en elles. Presque toutes savent se débrouiller. En revanche, beaucoup ne se font pas confiance. Elles se ruent dans des maternités de niveau 3, alors qu'elles seraient bien mieux en niveau 1.
 
Voir aussi :
 
Le site de Chantal Birman : www.chantalbirman.fr
Le blog de Chantal Birman : chantalbirman.blogspot.com
Le groupe : Facebook

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