samedi 16 juillet 2011

Caprice

Source : Dr Philippe Grandsenne
L'Antidico du Bébé


CAPRICE : En regardant dans le dictionnaire , on s'apperçoit que le mot "caprice" a plusieurs sens. Il peut être le fait d'un désir immédiat, exigeant, et effectivement, les tout petits bébés sont des "désireurs immédiats". Ils ne peuvent comprendre que l'on ne satisfasse pas immédiatement leurs désirs. Il est normal et naturel pour un bébé d'être dans le "vouloir immédiat". J'accepte alors de dire que les bébés sont capricieux si on utilise le terme dans cette acception. Il n'a alors pas de connotation péjorative, il signifie simplement que l'enfant ne sait pas encore qu'il lui faut parfois attendre pour avoir ce qu'il désire, ou que ce désir ne pourra être satisfait car il n'est pas raisonnable selon les critères des adultes.

Malheureusement, je pense que ce n'est pas en ce sens que l'on emploie le plus communément le mot "caprice"; l'utilisation la plus courante de ce terme évoque l'envie subite et passagère, l'exigeance accompagné de colère. Lorsque l'on dit d'un bébé qu'il "fait des caprices", on évoque alors des envies sans valeur : "Je le veux, même si cela n'a aucun intérêt ou même si je n'en ai pas besoin; je me débrouille pour te faire fléchir, pour obtenir de toi que tu me le donnes." Je crois que le bébé n'est absolument pas apte à faire ce genre de caprices.

Certains de mes patients me demandent parfois : "Mais alors, à partir de quel âge est-ce qu'ils commencent à faire des caprices ?" Je leur réponds que pour pouvoir faire un caprice, il faut avoir fait au moins hypokhâgne et khâgne, car c'est quelque chose de très complexe. Il faut savoir au préalable que "je" et "tu" existent et sont distincts l'un de l'autre, ce qui n'est pas acquis chez les bébés de moins de 3 ans, qui ne peut donc pas faire de caprices. Deuxièmement, il faut que "je" se sache pensant et que "je" sache que "tu" est pensant, il faut que "je" - qui pense qu'il pense et qui sait que "tu" pense et pense qu'il pense -, il faut que "je" sache que "tu" pense... Il est donc très compliqué de faire un caprice. Il faudrait pour celà entraîner l'autre à accepter quelque chose qui ne nous est pas nécessaire, or le bébé ignore l'existenace de ce dont il n'a pas besoin.

Celà veut-il dire pour autant que le bébé n'est pas capable d'exiger ? Non. Il est capable d'exiger ce qu'il veut et même de l'exiger violemment. Mais est-ce qu'exiger ce que l'on veut est un caprice ? Si oui, toutes les personnes qui demandent une augmentation à leur patron sont capricieuses; parfois ils manifestent même en criant. Si l'on applique le mot "caprice" au bébé lorsqu'il exige bruyamment, alors nous sommes tous des capricieux. Personne n'ose utiliser ce terme pour parler de revendications, même si on ne les trouve pas justifiées, même si l'on n'est pas d'accord. Mais je n'ai jamais demandé que l'on soit tout le temps d'accord avec son enfant ! Ce n'est pas parce que nous, les adultes, les sérieux, ne sommes pas d'accord que le désir de l'enfant est un caprice. Cette façon de concevoir les choses est dévalorisante car elle ne porte pas sur le désir de l'enfant mais sur l'enfant lui-même: "Ce que tu veux est nul, et si tu veux des bêtises, c'est que tu es bête". Ce n'est pas parce que cela n'a pas de valeur pour nous que cela n'en a pas pour lui, mais ce n'est pas parce que cela a de la valeur pour lui qu'il doit nécessairement l'obtenir. Ce n'est pas parce que je dit à un enfant "tu n'auras pas ce que tu désires" que je doit parler de caprice. A force de refuser ce que demande l'enfant comme si chaque demande était un caprice, les parents eux-mêmes ont tendance à faire de scaprices en prenant des décisions non sensées, en refusant par exemple de donner à manger à un bébé de 1 ou 2 mois sous prétexte que ce n'est pas l'heure de manger ou en refusant de le prendre dans leur bras quand il demande à être rassuré. Certains parents de nourissons prennent pour preuve que leur enfant fait un caprice le fait qu'il crie à nouveau dès qu'on le repose. Mais quelle femme comprendrait que son mari refuse de la prendre dans ses bras lorsqu'elle est triste ou angoissée, en lui disant qu'elle "fait un caprice" ! On fonctionne souvent de façon inadapté avec les tout-petits.

Il est aussi important de souligner que la parole de sparents est parole d'évangile pour l'enfant. J'ai un jour compris à quel point le bébé parle et entend au 1er degré : je me souviens que mon épouse, sous le coup de l'énervement, avait dit à son neveux : "Tu me casses les pieds!" Il a fondu en larmes en regardant ses pieds qu'il craignait d'avoir cassés. L'enfant vit ce qu'on lui dit au 1er degré, sans avoir le même recul que nous. "Caprice" est fondamentalement dévaluant et l'enfant peut ainsi être dévalué quotidiennement. Le caprice est même parfois vécu comme une agression, on entend souvent : "Il me fait des caprices." L'enfant comprend : "Je suis un minable qui agresse sa mère." NON! Ce n'est pas son désir qui est sans valeur, mais il veut autre chose que nous et il l'exprime différemment. A force de répéter le terme "caprice" pendant toute l'enfance, on apprend à l'enfant qu'il est non seulement méchant et malfaisant, mais également de moindre valeur. Il est non seulement petit en taile et en âge mais aussi en valeur. L'utilisation de ce terme pose la question du respect del'enfant. Il est tout à fait possible de ne pas être d'accord et de se respecter, de respecter le désir de l'autre.

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