Françoise Servent (très) Sage-Femme à domicile
« Jade a déjà 7 ans ? J’aurais dit que cela faisait une paire d’années que je suis venue chez toi pour ton accouchement ! »
« Quand peut-on se voir Françoise ? J’aimerais tant que tu nous parles de toi et de ton beau métier de sage-femme à domicile dans elleveutoo !»
« Attends je regarde, oh la la ! J’en ai plusieurs qui vont
accoucher ces prochains jours ! Alors pas ce jour-là, il y a Christel,
là il y a Laura, là non plus il y a Gislaine qui devrait accoucher…,
j’ai tellement de demandes !!! Normalement après le 7 ce trio devrait
avoir accouché !? On va dire le 8 à 10h, ça te va Cécile ? Bon tu me
connais, s’il y a une urgence…. »
Françoise Servent vient de fêter ses 30 ans d’activités de
sage-femme. Pourtant (très bien) reçue au concours d’Agro, elle opte
pour les études de sage-femme pour des raisons familiales.Diplômée de l’Ecole de Sage-femme de Montpellier à 21 ans, elle travaille 4 ans en milieu hospitalier avant de s’installer en libéral dans une commune proche de Saint-Affrique (Aveyron). Parallèlement à son cabinet, elle fait des gardes de 24h par intérim, parfois accompagnée d’une aide soignante, parfois seule. Autonome alors, elle peut rester aussi longtemps qu’elle le souhaite auprès des femmes qui viennent pour accoucher. Françoise Servent commence à comprendre qu’on peut amoindrir la douleur, aider les femmes à la supporter avec autre chose que la péridurale…
LV2 *: Françoise que gardes-tu de tes années d’école de sage-femme ?
FS** : J’étais très bien intégrée et curieuse d’apprendre mais la surcharge de travail était colossale. A l’époque les maternités tournaient principalement avec les stagiaires, en plus de nos cours quotidiens nous devions rajouter à nos journées 8h de stage. Le gros avantage c’est qu’à la fin du cursus nous avions fait tous les services avec en prime l’impression d’avoir fait 4 ans d’armée.
LV2 : En quoi ces études pouvaient ressembler à l’armée ?
FS : Le surcroit de travail ne m’a jamais fait peur, fatiguée oui, mais j’aimais beaucoup ce que j’apprenais. Ce sont les échanges avec le corps enseignant qui ont étaient difficiles à vivre pour l’étudiante que j’étais. Même si nous nous occupions de femmes en train d’accoucher, de nouveau-nés et de jeunes mamans, on nous disait de ne pas nous attarder avec les patientes. Si on s’attardait avec l’une des femmes, on était traité de tir au flanc. Il n’y avait rien de chaleureux, à maintes reprises j’ai failli tout arrêter. J’étais souvent en désaccord avec ce régime autoritaire où l’affectivité n’avait pas sa place.
LV2 : parles-nous de tes débuts en tant que sage-femme ?
FS : Saint-Affrique était une petite unité de niveau I ce qui me changeait complètement du grand hôpital de Montpellier de niveau III. Là, il n’y avait que des grossesses faciles les autres étaient dirigées vers Montpellier. Cela me mettait déjà face à une réalité, un « bon » accouchement est donc prévisible… Quand une femme arrivait, je m’en occupais de A à Z et malgré moi je commençais à lui parler, la toucher, la masser mais ça je ne l’avais pas appris dans les cours. Durant mes études j’avais cependant eu la chance d’avoir Professeur Durand (décédé depuis). Même s’il était très sévère avec nous, pour lui un travail bien fait, était un travail fait avec douceur, sans épisiotomie et sans déchirure.
Quand il y avait déchirure, il nous demandait des explications ? Le comble c’est qu’on disait de ce vieux monsieur, respectueux du rythme des femmes, qu’il n’était pas moderne.
LV2 : Comment es-tu venue à l’accouchement à domicile ?
FS : Durant mes études, je ne me voyais pas Sage-femme à domicile mais quand tu travailles différemment tu apprends à travailler sans stress. J’ai ouvert un cabinet libéral et comme nous étions loin de la ville, il m’arrivait régulièrement d’être appelée en urgence par des femmes qui n’avaient pas eu le temps de se rendre à la maternité. Souvent des paysannes qui par essence sont proches de la nature et pour qui l’atmosphère d’un milieu médical rentrait péniblement dans leur code. Une fois accouchées, elles me disaient « J’ai accouché, tout va bien, pourquoi devrais-je partir à l’hôpital maintenant ? »
Une urgence, puis deux puis trois … puis le bouche à oreilles a été très actif (il l’est toujours).
LV2 : Quelles sont ces femmes qui veulent accoucher à la maison ?
FS : Contrairement peut-être aux idées reçues, il n’y a pas de profil type de la femme qui souhaite accoucher à domicile. Je suis appelée par toutes sortes de mamans, issues de classes sociales les plus démunies aux plus aisées, de tous niveaux d’études, de tous bords politique, de toutes religions et de toutes cultures.
LV2 : 30 ans d’expériences à accoucher à domicile que retiens-tu de toutes ces années?
FS : A chaque naissance, une perception unique. Je retrouve les mêmes émotions chez ces femmes et leur famille. Ces gens si différents, si étrangers les uns vis à vis des autres, que tout peut parfois opposer, vivent ce moment de la même manière ! Je constate que lorsque le rythme de la maman est respecté, que la naissance est respectée, nous nous retrouvons dans un espace spatio-temporel universel commun à toutes les cultures et religions. Se dégage une dimension de paix, une forme de vie où toutes les différences sont effacées pour laisser place à beaucoup d’amour.
LV2 : Et concernant la place du Père ?
FS : Avec l’ADD le papa trouve sa place. Il a un rôle tellement participatif qu’il peut exprimer sa toute puissance en assumant les responsabilités qu’il lui incombe de fait : aider sa femme dans ses déplacements, lui apporter ce dont elle a besoin, l’aider à atténuer la douleur par des points d’acupressure, la maintenir au moment de la poussée… se créent des liens entre l’homme & la femme d’une qualité rare. Un homme qui l’a connu une fois en redemande.
J’ai pu constater qu’en milieu hospitalier, ils sont soit mis de côté, soit leur présence est teintée d’impuissance. Ils souffrent de voir souffrir leur femme sans pouvoir faire grand-chose, du coup ce sont souvent eux qui demandent la péridurale ou qui influencent leur femme!
LV2 : Y a-t-il des choses qui te gênent dans la manière de faire en milieu médical ?
FS : Loin de moi l’idée de me positionner contre le milieu médical. Chacune doit aller vers ce qui lui convient le mieux, pour cela plusieurs paramètres vont aussi rentrer en ligne de compte : gémellité, état de santé fragilisé de la maman et du bébé, présentation du bébé par le siège, accouchement prématuré,… sont déjà quelques points qui excluent l’idée d’accoucher à domicile.
Ce qui me laisse interrogative cependant c’est le terme de « travail dirigé » ? Force est de constater que le travail dirigé ôte aux femmes une grande partie de leurs capacités à accoucher à leur rythme. Si on y regarde de plus près, le travail est dirigé par le personnel médical, pas par les femmes… alors qu’au fond d’elles, elles savent ce qu’elles ont à faire.
Je pense que nous devrions faire davantage confiance aux femmes et aux bébés.
LV2 : Faire davantage confiance aux bébés que veux-tu dire ?
FS : Dès que les bébés sortent du ventre de leur mère, les interventions médicalisées les éloignent de leur processus instinctif à répondre aux éléments nouveaux. Ces actes ont leur raison d’être mais devraient être là uniquement s’il y a un problème, pas systématiquement pour tous les bébés. On le voit rapidement lorsqu’un bébé à besoin d’une aide extérieure.
Il faut savoir qu’une intervention n’est pas neutre et n’est jamais dénuée de risques (perforation du poumon par exemple, c’est arrivé dans ma propre famille). A cela se rajoute la dimension « agressive émotionnelle» pour un nouveau né à peine sorti du ventre on le retire à sa maman trop rapidement. A partir du moment où toutes les fonctions vitales sont bonnes (cœur, tonus, respiration, coloration) on observe que le bébé va résorber tout seul une petite faiblesse respiratoire par exemple.
Pour l’allaitement il en est de même … Minuter les téter et leur imposer un rythme est antinomique aux besoins d’un nouveau né. Quand on sait que 3/4 des femmes sur cette terre n’ont pas de montre et allaitent normalement, pourquoi ici les femmes devraient se régler sur une horloge et rentrer dans un rythme normé ?
LV2 : L’un de tes plus beaux souvenirs de sage-femme?
FS : Il y en a plusieurs bien sûr, mais je crois que c’est un des premiers accouchements, une amie très proche qui donnait naissance à une petite fille (pas si petite: 4800g!!!). Je n’étais pas seulement une sage femme, il y avait aussi ce lien d’amitié très fort entre nous. Et ce jour là j’ai senti de façon incroyable la force du nouveau né qui arrive à la vie terrestre. Je me suis sentie si petite à coté! Tant de force et de pureté à la fois! C’était une petite « Ambre »!
LV2 : Observes-tu une évolution des mentalités par rapport à l’accouchement en 30 ans de carrière ?
FS : Certes, mais c’est une évolution par rapport à tout ce qui est médical, pas seulement l’accouchement. Les couples cherchent davantage d’alternatives par rapport à la technique. La confiance est émoussée, le « médical » est descendu de son piédestal. Les personnes conscientes veulent être actrices de leur santé et donc encore plus en ce qui concerne la Naissance, puisqu’il s’agit d’un évènement naturel. En tous cas, certains veulent y replacer la dimension humaine qui n’aurait jamais dû en être négligée. Nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir faire cohabiter les deux : le progrès des examens qui a supprimé beaucoup de mauvaises surprises, le matériel nécessaire au cas où… Ce qui laisse l’Essentiel de la Naissance prendre toute sa valeur.
LV2 : Que t-ont appris les femmes durant tout ce temps? Et ce qu’elles t-ont apporté?
FS : J’ai envie de dire : TOUT !!! Il me semble aujourd’hui avoir appris mon métier « presque » uniquement sur l’expérience. J’ai pu apprendre le « rythme des femmes », et c’est vraiment quelque chose de commun à toutes les femmes de notre planète. Elles m’ont apporté tant d’amour…
Je voudrais aussi rendre hommage aux « Papas » lors de cet évènement de la Naissance. Leur accompagnement est si précieux, malgré ce qu’ils peuvent en penser souvent. Eux aussi, sont éclaboussés d’émotions et de force. Ce n’est pas si facile pour eux de contenir tout ça!
LV2 : Quel message voudrais-tu faire passer aux femmes?
FS : Leur dire MERCI surtout ! C’est un vrai cadeau que leur confiance, que leur Amour, que de m’inviter à être auprès d’elles et d’eux dans ce moment-là.
Leur dire de toujours garder cette confiance en eux surtout … et de la transmettre à leurs tout-petits.
LV2 : Que dirais-tu en conclusion ?
FS : Quel que soit le choix du lieu et du mode d’accouchement (maternité ou domicile), faisons davantage confiance aux femmes. Elles savent mieux que quiconque ce qu’elles ont à faire.
Merci beaucoup Françoise pour ce si précieux témoignage !
Cabinet Françoise Servent et Julie Scarborough : 8 rue des deux croix – 34980 Montferrier sur lez – 0467596521 – francoiseservent@9business.fr
(*LV2 = elleveutoo; ** FS = Françoise Servent, Femme Sage, Sage-Femme …)
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