lundi 24 novembre 2008

Où accoucher : faut-il élargir l’offre de soins ?

Le journal "Le Monde" a annoncé, samedi 21 juillet, l’interruption du projet d’expérimentation des maisons de naissance. Lila Rozé, du blog Bébé , s’en félicite. Éloigner la naissance de l’équipement médical, affirme-t-elle, c’est faire courir un risque énorme à la mère et au bébé.

Lila Rozé se fait ainsi l’écho d’une certaine opinion publique, qui est aussi celle des obstétriciens. "La sécurité passe par la médicalisation", répondent les professeurs J. Lansac et B. Carbonne à un article de la magistrate Viviana Salomé paru dans la revue Prescrire de mars 2005.

La sécurité des accouchement passe-t-elle par leur médicalisation ?

On peut le penser, mais les épidémiologistes et les chercheurs ne l’ont pas prouvé.

Citons cette étude d’une revue scientifique [1], qui porte sur des enfants dont les mères ont accouché avec une sage-femme aux États-Unis en 1991. Ces naissances ont été comparées à un large échantillon de naissances assistées par des médecins, pour des femmes présentant les mêmes caractéristiques. En tenant compte des facteurs sociaux et du risque médical, les enfants nés de mères accompagnées par des sages-femmes ont eu un tiers de chances en moins de mourir au cours de leur première semaine et 20 % de chances en moins de mourir pendant leur première année.

Il s’agit juste d’une étude. Même cent études concordantes n’infléchiraient pas la pensée de ceux que la médicalisation rassure. Mais quelle place accorder aux personnes qui, elles, préfèrent éviter les traitements et les interventions lorsque cela reste compatible avec leur propre lecture du risque ?

La médicalisation nécessaire au confort médico-légal ?

Enceinte, j’ai voulu discuter des modalités de la surveillance du rythme cardiaque fœtal pendant mon accouchement. L’intérêt de cette surveillance, couramment dénommée "monitoring", c’est de déceler un bébé qui va mal. Concrètement, il s’agit de bandes à scratch contenant des capteurs qu’on enroule autour du ventre de la femme. Le résultat est transmis à un appareil qui enregistre et imprime les courbes. La majorité des maternités installent le dispositif à la femme dès son arrivée, ce qui la contraint à rester allongée et gênée dans ses mouvements pendant toute la durée de l’accouchement. Je souhaitais, moi, bénéficier d’un monitoring intermittent, 10 minutes par heure par exemple, pour bénéficier de ma liberté de mouvement.

Mais je n’allais quand même pas compromettre ma sécurité et celle de mon bébé avec mes caprices, n’est-ce pas ? Justement, non. Un organisme public à caractère scientifique, la Haute autorité de la santé (HAS) [2], met à disposition des études d’évaluation de pratiques, en s’appuyant sur la littérature scientifique. Sa publication intitulée Intérêt et indications des modes de surveillance du rythme cardiaque fœtal au cours de l’accouchement normal compare deux méthodes de monitoring : en continu, ou par intermittence. La conclusion, c’est qu’il n’y a pas de différence statistique de mortalité ou de séquelles neurologiques entre un monitoring continu et un monitoring intermittent. Mais le monitoring continu entraîne plus d’interventions de type césarienne et forceps, à cause de faux positifs, ces fausses alertes qu’on traite comme des vraies urgences.

Je tenais le bon bout : ce que je souhaitais n’est pas mauvais pour le bébé et peut éviter un enchaînement d’interventions généré par des faux positifs. Cela m’aurait permis d’être libre de mes mouvements, ce qui diminue la douleur (j’avais eu l’occasion de le remarquer et j’ignorais encore que les études scientifiques le confirment). Diminuer la douleur parce que c’est toujours bon à prendre en attendant la péridurale, que je souhaitais demander le plus tard possible.

Cela n’a pas intéressé mon obstétricien. No way, il a dit. Des raisons médicales ? Non : "Le monitoring continu, c’est obligatoire, Madame, c’est médico-légal." Le risque médico-légal, c’est quand le médecin a peur qu’on lui reproche un jour de ne pas avoir mis une ceinture et des bretelles à ses patients. Ce risque-là n’entre pas en compte dans ma perception de ma sécurité et celle de mon bébé. Je suis allée accoucher ailleurs.

Élargir l’offre de soins ?
Est-ce que les femmes peuvent choisir les conditions dans lesquelles elles vont mettre un enfant au monde au terme d’une grossesse qui s’est déroulée normalement ? En France, en 2007, la réponse est non : toutes les maternités sont médicalisées.

Des maisons de naissance permettraient d’élargir le choix des femmes, en l’absence de problème de santé et de complication de la grossesse. Ces structures seraient gérées par des sages-femmes uniquement, qui suivraient la grossesse, l’accouchement et la période postpartum. On s’attend à ce que l’accouchement s’y déroule sans intervention autre qu’une surveillance discrète (comme le monitoring intermittent), que des actes ne soient réalisés que s’ils sont nécessaires pour cette femme à ce moment-là. Les maisons de naissance seraient insérées dans un réseau de santé, avec des maternités partenaires vers lesquelles les femmes peuvent être transférées. Ainsi, les femmes bénéficieraient d’un accompagnement personnalisé. Parce que la sécurité des accouchements passe aussi par une médicalisation adaptée à chaque cas.

L’ouverture de maisons de naissance en France, nous rappelle Le Monde, a été promise par le ministre de la Santé en 2001, et préconisée dans le plan périnatalité 2005-2007. L’expérimentation doit d’abord durer trois ans, ce qui permet de vérifier que le principe est viable.


L’opinion publique est-elle favorable à des espaces peu médicalisés ?

Sur le sujet des maisons de naissance, les commentaires fusent.
Pour certains, il faudrait améliorer les espaces au sein des maternités. Ce qui est vrai.
Oui, renchérissent les autres, on ne peut pas faire des maisons de naissance et des économies. Ce qui est faux.

D’après les calculs présentés sur le coût de fonctionnement des maisons de naissance, on s’attend à une économie de 765 euros par grossesse pour la collectivité. Soit, sur la base de 25 % des naissances, 150 millions d’économies par an. C’est beaucoup. À titre de comparaison, le budget annoncé en 2005 pour mettre aux normes les hôpitaux et cliniques en nombre de sages-femmes, praticiens et infirmiers était de 130 millions d’euros.

Voilà l’idée : les maisons de naissance permettent d’élargir l’offre de soins et de générer des économies, ce qui peut servir à améliorer d’autres secteurs de la santé. Sans compromis pour la sécurité, et les modalités pour assurer cette dernière seraient déterminées lors de l’expérimentation.

L’Angleterre, elle, considère que l’élargissement de l’offre de soins est réalisable. Le gouvernement britannique prévoit de permettre à chaque femme le choix entre l’accouchement à l’hôpital, en maison de naissance ou à domicile d’ici 2009, d’après un communiqué de la BBC (traduit).

La décision française d’arrêter les projets de maison de naissance n’a pas, à l’heure qu’il est, fait l’objet de confirmation par le ministère de la Santé. Parents, professionnels et simples curieux aimeraient bien savoir si l’élargissement de l’offre de soins en maternité est toujours à l’ordre du jour.
[1] MacDorman, M. F., et al. "Midwifery Care, Social and Medical Risk Factors, and Birth Outcomes in the USA", J. Epidemiol Community Health 52, no. 5 (1998) : 310-7.

[2] Mission de la HAS : elle éclaire par ses avis scientifiques, d’une part, les représentants de l’État garant de la planification et du fonctionnement du système de santé et les caisses d’assurance maladie responsables de sa régulation financière, et d’autre part, les professionnels de santé, les patients et les usagers du système de soins. http://www.has-sante.fr/portail/display.jsp ?id=c_549507#c_549508%5D

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