Source : http://www.lematin.ch/actu/suisse/sandrine-salerno-voulais-temps-bebe-78106
Entretien. Rendez-vous au célèbre Café Papon de Genève, avec la magistrate Sandrine Salerno. Pour elle, prendre son congé maternité était aussi une manière de revendiquer le droit à la conciliation entre vie familiale et vie politique
Elle est la première élue d'un exécutif romand à avoir pris un congé maternité complet. C'est aujourd'hui son retour au travail.
Nathalie Ducommun -
le 01 février 2009, 21h42
Le Matin
Sandrine Salerno, vous êtes l'anti-Rachida Dati. Vous revenez aux affaires après cinq mois de congé maternité. Elle, au bout de cinq jours...
J'ai trouvé ce débat sur Rachida Dati injuste. J'ai l'impression que, quoi qu'on fasse, on a toujours faux! Si une ministre ne prend pas de congé, on crie à l'horreur et si une élue fait un enfant et s'en occupe les premiers mois, on lui dit: «Mais pour qui elle se prend? Elle a été élue et elle se permet de partir en congé maternité!» On est toujours dans un discours culpabilisateur. J'ai l'impression que ce débat a servi comme exutoire pour dire tout et n'importe quoi sur les mères et les enfants, sans jamais aborder la question de fond.
Et c'est quoi la question de fond?
Le fait qu'en Suisse la législation concernant le congé maternité n'est pas satisfaisante. C'est une couverture qui doit absolument être améliorée. Il s'agit en fait d'une assurance perte de gain qui ne couvre pas toutes les femmes. Les femmes au foyer par exemple n'y ont pas le droit. Certaines salariées, elles, se retrouvent avec 80% de leur salaire lorsque leur employeur ne complète pas les 20% restants. Pour les personnes qui ont des petits revenus, ce n'est pas une mince affaire. Quant aux indépendantes, elles doivent souvent retourner plus vite au travail. L'assurance ne suffit pas à couvrir les frais d'un cabinet d'étude d'une avocate par exemple. Enfin, les élues politiques ne sont tout simplement pas couvertes.
Cela veut dire que vous n'avez pas touché de rémunération pendant votre congé?
Si, j'ai touché les 100% de mon traitement. La Ville a considéré qu'en tant qu'élue j'avais le droit à 4 ans de rémunération, vacances ou non, congé maternité ou non. Il n'y a pas eu de résistance de la part de mes collègues du Conseil administratif.
Mais alors, que revendiquez-vous exactement?
Un congé maternité digne de ce nom pour toutes les femmes. De plus, si on estime que dans les premiers mois de vie du bébé la mère doit pouvoir se remettre correctement de son accouchement et que l'enfant doit pouvoir tisser ses liens avec ses parents, alors instaurons un congé paternité au niveau fédéral avec obligation pour les pères de le prendre.
C'était donc un acte militant de prendre un congé maternité de 5 mois?
Ce qui est militant, c'est d'affirmer le droit à concilier sa vie familiale et sa vie politique. Mais il est clair qu'au départ il s'agissait d'un désir de couple d'avoir un deuxième enfant. Et moi en tant que mère, j'avais envie de la période d'allaitement que je considère importante. Enfin, lorsqu'on en a la possibilité, je trouve que c'est bien de prendre du temps avec son nouveau-né.
Comment se sont déroulées les séances que vous faisiez chez vous avec votre bébé? C'était avant, après ou pendant les heures de tétée?
J'ai la chance d'avoir une deuxième fille qui est très sereine. Ses premières semaines, elle n'a fait que manger et dormir! Je l'ai gardée collée contre moi dans une écharpe en continu, même pendant les séances, ça n'a pas posé de problème.
Vous n'avez jamais vécu la scène horrible du bébé qui hurle dans la pièce d'à côté pendant que vous et vos collaborateurs essayez de vous concentrer sur le budget 2009?
Non. Mais si cela avait été le cas, j'aurais foncé dans la chambre de ma fille et annulé les séances. C'est ingérable pour une mère de travailler en entendant son bébé pleurer. Et c'est insupportable pour les personnes extérieures!
Votre absence a-t-elle été politiquement utilisée contre vous?
Non. Mes collègues du Conseil administratif ont été fair-play. Lorsque j'étais absente à l'une de nos séances et qu'un point à l'ordre du jour concernait mon département, ils le reportaient par exemple.
Et les moqueries, les sobriquets, les critiques d'autres élus, comme Martine Brunschwig Graf qui ne considère pas la maternité compatible avec un mandat politique, comment les avez-vous vécus?
J'ai trouvé certaines remarques blessantes. Lors d'une séance du Conseil municipal par exemple. Lorsque s'est déroulé le vote d'entrée en matière sur le règlement sur le logement social à Genève, certains m'ont reproché à la tribune de ne pas avoir jugé opportun d'être présente, alors que tout le monde savait que j'avais été hospitalisée. C'était peu avant l'accouchement. Je ne pense pas qu'on aurait fait les mêmes reproches publiquement à un homme absent pour une opération d'une hernie.
Et maintenant que vous reprenez à plein-temps votre activité, craignez-vous les bugs de garde ou les maladies de vos filles qui vous obligeront de nouveau à vous absenter du travail?
Non. On se partage beaucoup les gardes et les tâches avec mon compagnon. Et j'ai quelqu'un qui va chercher mes filles à la crèche. Je n'ai donc pas ce stress de nombreuses mamans ou papas qui doivent courir pour arriver à temps chercher leurs enfants. Et j'ai la chance d'être dans une fonction dirigeante. Je n'ai pas à m'excuser si j'arrive en retard, si je rate une séance parce que je dois aller chez le pédiatre. Reste qu'il faut réussir à dépasser la culpabilité de prendre une heure pour emmener son bébé chez le pédiatre.
Et, justement, vous réussissez à la surmonter cette culpabilité envers celles et ceux qui vous ont élue ou envers vos collègues?
Disons que je n'ai pas l'impression d'abuser de ma position, et j'ai le sentiment de bien remplir mon mandat. Donc non, je ne culpabilise pas. En revanche, je me sentirais coupable si je n'allais pas chez le pédiatre, que ma fille avait 40 degrés de fièvre, que je finisse par partir aux urgences le week-end, et que lorsque le médecin me demande pourquoi je ne suis pas venue consulter plus tôt, je doive répondre: «Parce que j'avais une séance!»
Donc vous reprenez le travail aujourd'hui avec autant d'assurance que Rachida Dati...
Parce que j'ai la chance d'être aidée et que mes filles ont un père. Le pire, ce n'est pas de faire des enfants en travaillant à 100%. Pour moi, le pire serait de les élever sans père.
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