Ils avaient des opinions, des intuitions, voire des certitudes. Mais au terme de deux week-ends de formation sur la bioéthique avec des juristes, des psychanalystes, des médecins et des philosophes, Philippe Derouin et Loïc Fischer disent avoir abandonné avis tranchés et idées reçues. "Plus on avançait, plus on découvrait la complexité des enjeux, raconte Philippe Derouin dans un sourire. Ça chamboulait tout dans nos têtes ! Ensuite, ça a décanté, mûri et ça nous a ouvert de nouveaux horizons."
Philippe Derouin et Loïc Fischer sont tous deux membres des jurys citoyens constitués dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique. Trois jurys composés chacun d'une quinzaine de personnes qui se réunissent les 9, 11 et 16 juin à Marseille, Rennes et Strasbourg : le premier est consacré à la recherche sur les cellules souches et les diagnostics prénataux et préimplantatoires ; le deuxième à l'assistance médicale à la procréation - homoparentalité, mères porteuses et levée de l'anonymat sur les dons de gamètes ; le troisième aux dons d'organes et aux tests génétiques.
Ces jurés ne sont pas de simples figurants dans le long processus qui mènera, en 2010, à la révision des lois de bioéthique de 1994 et 2004. Au terme de leur formation, ils dialogueront, au cours d'un forum public, avec de "grands témoins" - le biologiste Jacques Testard, la philosophe Sylviane Agacinski, la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval ou le président d'honneur du comité d'éthique, Didier Sicard. Réunis à huis clos le lendemain, ils rédigeront un avis qui sera versé au débat sur la révision.
L'idée d'associer des jurys citoyens à la réforme des lois de bioéthique est née au début de l'année. "Nous ne voulions pas que ce débat soit confisqué par les experts, les politiques ou les lobbys, explique Jean Leonetti, le président du comité de pilotage des Etats généraux. Nous voulions faire intervenir les citoyens mais nous ne savions pas sous quelle forme. Un jour, dans un débat, Noël Mamère a évoqué les méthodes scandinaves des panels citoyens. Je suis allé le voir à la fin de notre échange, nous avons discuté et cette idée a finalement été retenue."
Apparus en Allemagne et aux Etats-Unis dans les années 1970, les jurys citoyens sont aujourd'hui utilisés dans le nord de l'Europe : au Danemark, une vingtaine ont été réunis depuis 1987 sur des sujets aussi divers que les OGM, la surveillance électronique ou les péages d'autoroute. Le principe est simple : au terme d'une solide formation et d'un vaste débat public, une quinzaine de citoyens tirés au sort produisent un avis éclairé sur une question difficile.
Cette méthode prend le contre-pied de la logique des sondages, qui proposent une photographie instantanée mais souvent simpliste de l'opinion publique. "Sur un sujet aussi complexe que la bioéthique, il est impossible de répondre sur-le-champ par oui ou non, poursuit M. Leonetti. Mieux vaut réunir quinze personnes et prendre le temps de la réflexion. Cela permet d'avoir du recul, d'écouter les arguments des uns et des autres et de faire place au doute. Les jurys, c'est un pari sur l'intelligence des citoyens."
Loïc Fischer, éducateur d'internat âgé de 22 ans, est devenu juré un jour de printemps, en se promenant dans la petite ville alsacienne de Bischwiller. "Une enquêtrice de l'IFOP m'a demandé si je voulais participer à ces jurys, raconte-t-il. Nous nous sommes vus plusieurs fois, elle m'a donné des documents et j'ai pris le temps de réfléchir. Quand on est citoyen, on se contente de donner son avis une fois tous les cinq ans, lors des élections, alors que là, j'avais la chance unique d'apporter ma petite pierre à la construction d'une nouvelle loi sur la bioéthique."
Comme tous les jurés, Loïc Fischer reçoit une abondante documentation sur les lois de bioéthique avant de participer, en avril et en mai, à deux week-ends de formation : trois demi-journées dans un hôtel à écouter des juristes, des philosophes et des professeurs de médecine évoquer les problèmes éthiques posés par les prélèvements d'organes ou les tests génétiques. Les intervenants choisis par le comité de pilotage sont invités à faire preuve de neutralité et d'équilibre. Attentif et passionné, le groupe poursuit la discussion pendant les déjeuners et les dîners.
Pendant ce temps, à Rennes, Philippe Derouin, l'un des membres du jury citoyen sur l'assistance médicale à la procréation, assiste à une formation qui évoque notamment les mères porteuses et l'anonymat des dons de sperme. "On a l'impression que ces questions sont familières mais en fait, on en sait très peu de choses, souligne ce cadre âgé de 45 ans. C'est étrange, c'est proche et lointain à la fois. J'avais un avis sur toutes ces questions mais il était affectif, un peu compassionnel, je n'aurais pas su l'argumenter."
Au cours de cette session, la juriste Dorothée Bourgault-Coudevylle et la psychanalyste Sophie Marinopoulos abordent en tandem le débat sur les nouvelles formes de filiation. "J'ai commencé par leur parler d'histoires connues, comme celles de la paternité contestée d'Yves Montand ou du fils de François Perrier, qui n'était pas son enfant génétique, raconte Mme Marinopoulos. Cela permet d'aborder la complexité de la notion de filiation, qui repose à la fois sur une dimension génétique - sa part la plus narcissique -, mais aussi juridique et psychique. Il ne suffit pas d'avoir un enfant pour se sentir pleinement parents."
Au terme de ce long processus, les jurys citoyens, comme les jurys d'assises, se réuniront à huis clos, pendant une journée, afin de rédiger un avis argumenté sur la révision des lois de bioéthique. Ces trois documents assortis de recommandations viendront nourrir le débat sur la bioéthique, au même titre - au moins théoriquement - que le rapport du Conseil d'Etat ou le travail de la mission parlementaire sur la révision des lois de 1994 et 2004. "Les jurys permettent de transformer des citoyens profanes en citoyens éclairés", résume Damien Philippot, directeur d'études à l'IFOP.
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