Source : lllfrance.org
Ces derniers jours, les médias ont largement diffusé des communiqués sur une avancée majeure de la technologie : la fabrication de « lait humain » par des vaches clonées.
Voir par exemple :
www.liberation.fr/sciences/01012342641-du-lait-maternel-humain-dans-les-mamelles-d-une-vache-clonee
Un laboratoire argentin a annoncé la naissance de la première vache clonée au monde comportant deux gènes humains, afin de produire un équivalent du lait maternel qui pourrait protéger les nourrissons contre des maladies et favoriser leur développement.
« La vache clonée, baptisée Rosita ISA, est le premier bovin né au monde avec deux gènes humains contenant les protéines présentes dans le lait maternel », selon l'Institut national de technologie agricole (INTA).
À l'âge adulte, « la vache produira du lait similaire à celui des êtres humains », indique encore l'Institut.
Récemment, des chercheurs chinois avaient annoncé avoir mis au point un procédé similaire, mais en clonant deux vaches portant chacune l'un des deux gènes (alors que l'équipe argentine a réussi à implanter les deux dans une même vache).
Characterization of Bioactive Recombinant Human Lysozyme Expressed in Milk of Cloned Transgenic Cattle. Yang B et al. PLoS ONE 2011 ; 6(3) : e17593.
www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0017593
Ces chercheurs ont implantés 312 blastocystes (embryons aux premiers jours de leur développement) génétiquement modifiés dans l’utérus de vaches, mais seulement 37 veaux sont nés, et seuls 4 ont survécu jusqu’à l’âge adulte et ont été capables de produire du lait. Les chercheurs estimaient que la fabrication d’un tel lait était importante pour nourrir les bébés des femmes qui ne souhaitaient pas ou ne pouvaient pas allaiter.
Contrairement à ces allégations, ce type de clonage n’est pas vraiment une nouveauté : dès 1990, divers laboratoires pharmaceutiques, comme Pharming, annonçaient avoir réussi à cloner des vaches excrétant dans leur lait de la lactoferrine humaine.
Des affirmations totalement injustifiées
Mais de toute façon, le fait que du lait de vache contient de la lactoferrine et du lysozyme n'en fait pas pour autant du lait de femme. C'est toujours du lait de vache, qui contient toujours tous les composants du lait de vache (entre autres une caséine très différente de la caséine du lait humain, et beaucoup plus difficile à digérer). Le clonage de ces vaches leur permettra d’excréter dans leur lait juste 2 des « 279 protéines du lait humain qui participent à la protection du bébé » (Pr Peter Hartmann). De plus, il est très probable que ce lysozyme sera en majeure partie détruit lors de la pasteurisation du lait de vache, dans le processus de fabrication du lait industriel pour nourrissons. Sans parler des très nombreux autres composants du lait humain ; celui-ci est par exemple le lait le plus riche en oligosaccharides (au moins 200 molécules différentes - Human milk oligosaccharides : evolution, structures and bioselectivity as substrates for intestinal bacteria. German JB et al. Nestle Nutr Workshop Ser Pediatr Program 2008 ; 62 : 205-18), contrairement au lait de vache qui en contient très peu. Ces oligosaccharides jouent un rôle majeur dans la protection de l’enfant, et favorisent la prolifération d’une flore intestinale bénéfique.
Il est donc parfaitement abusif de dire que le lait de vaches clonées sera « similaire à celui des êtres humains ». Par ailleurs, l’allaitement est bien plus que le transfert de lait de la mère à l’enfant. Il constitue une interaction complexe entre la mère et son enfant. Le Pr Hartmann estime que si ces travaux sont intéressants sur le plan de la recherche fondamentale, ils ne présentent guère d’intérêt pratique dans le domaine de l’alimentation infantile.
Quelles motivations ?
On pourrait penser que ces chercheurs sont motivés par le désir altruiste de mettre au point un substitut aussi proche que possible du lait humain. Mais ce n’est pas vraiment le cas. Depuis des années, l’industrie pharmaceutique s’intéresse énormément au lait humain. Les recherches sur les composants du lait humain effectuées dans les années 80 et 90 ont montré que les propriétés de nombre d’entre eux représentaient un potentiel énorme de prévention et de traitement des maladies chez les humains. Actuellement, environ 2000 brevets ont été déposés sur des composants du lait humain, qui représentent une manne céleste pour l’industrie pharmaceutique, et pour les fabricants de lait industriel (vwmcclain.blogspot.com/). Il semble que les scientifiques soient en train de tenter de créer un monopole sur le lait humain ou ses composants.
Un brevet a été déposé sur l’utlisation de la lactoferrine par Pharming, une firme pharmaceutique hollandaise : l’administration de lactoferrine en cas d’infections virales par le CMV, le VIH ou le virus de l’herpès (Patent # 6333311. Useful properties of human lactoferrin and variants thereof. Dec 2001. Nuijens et al, with Pharming assigned right to the patent). Un autre aspect du brevet est l’utilisation d’une variante de la lactoferrine saturée à 95 % avec du fer, pour le traitement de l’anémie ou des pathologies de stockage du fer. Elle est aussi étudiée à titre prophylactique et curatif en tant que traitement potentiel de l’arthrite, de l’asthme, des pathologies cutanées, etc., par voie locale, orale, sous-cutanée, intramusculaire, intraveineuse, intrapéritonéale, ou par inhalations. On teste même un dentifrice à la lactoferrine pour la prévention des caries et le traitement des parodontoses. Les posologies habituellement recommandées vont de 5 à 100 mg/kg (5th International Conference on Lactoferrin, 4-9 mai 2002, Banff, Alberta, Canada). Il est intéressant de faire le parallèle avec le taux de lactoferrine dans le lait humain : il est particulièrement élevé dans le colostrum (3,3 g/l), puis baisse progressivement pour se stabiliser aux environs de 1,6-1,7 g/l dans le lait mature.
Des études ont montré que l’alpha-lactalbumine du lait humain induisait une apoptose (mort cellulaire) des cellules cancéreuses, sans aucun effet négatif sur les cellules saines. La lactoferrine du lait humain inhibe de nombreux germes pathogènes : virus, bactéries, champignons. Elle est aussi étudiée en tant que traitement potentiel de l’arthrite. Le lait humain sera également utilisé pour traiter les MST. La lipase stimulée par les sels biliaires, une enzyme humaine excrétée dans le lait humain (et produite par le pancréas), semble être utile pour le traitement de la mucoviscidose et de la pancréatite chronique. Les globules lipidiques du lait humain sont utilisés dans la fabrication des anticorps monoclonaux (ces anticorps sont considérés comme une industrie pouvant rapporter des milliards de dollars).
Le jour où les vaches produiront du lait humain, c’est qu’elles seront devenues des femmes ! La complexité du lait humain est telle (et on continue à découvrir régulièrement de nouveaux composants) qu’un clonage ne pourra certainement jamais permettre de concevoir un animal génétiquement modifié sécrétant réellement du lait humain. Le seul objectif de l’industrie pharmaceutique est de récupérer, dans le lait de ces animaux clonés, les protéines humaines pour soit les rajouter à un lait industriel (qui sera toujours fabriqué à partir de lait de vache), lait qui pourra alors être vendu nettement plus cher au prétexte qu’il sera « comme le lait maternel », soit les utiliser pour la fabrication de médicaments novateurs.
Françoise Railhet, éditrice des Dossiers de l'allaitement, 14 juin 2011
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