jeudi 2 juin 2011

Episiotomies à Besançon

Source : PARENTS - Juin 2011


A Besançon, on évite l'épisiotomie.

A la maternité du CHU de Besançon (Doubs), le taux d'épisiotomie ne dépasse pas 1,25%. Un record en France ! Et pas de complications pour autant.

« Jusqu'au dernier instant, je n'y ai pas cru. Ils m'ont dit à un moment de ralentir. D'adopter une position plus naturelle que les pieds dans les étriers. Et de pousser. C'est passé sans problème. J'ai juste une petite éraflure avec un petit point de suture sur le périnée. Rien à voir avec une épisiotomie ! » Et elle sait de quoi elle parle, Nathalie. Elle y a eu droit pour ses deux grands !

Sur le lit d'à côté, Amandine, qui vient de donner naissance à Timothé, écoute en silence. Elle est kiné à Pontarlier, à une soixantaine de kilomètres. La rééducation périnéale après l'accouchement, c'est 30% de sa clientèle. « Les épisio, j'en ai vuŠ Et c'est pas toujours évident de récupérer après un muscle coupé » glisse-t-elle. Pour son premier, cette petite blonde n'a donc pas hésité une seconde. Et tant pis pour les kilomètres. « Je savais très bien qu'ici, ils ne faisaient quasiment pas d'épisiotomies. »

Au rez-de-chaussée de la maternité, dans son bureau, le Pr Didier Riethmuller explique maintenant comment ils ont réussi à rengainer les scalpels. Il lâche d'abord un chiffre. Incroyable. Dans cette maternité de niveau 3, censée accueillir les grossesses compliquées, le taux d'épisiotomie est descendu en 2010 à 1,5%. Soit 24 seulement dans une année, sur 1900 accouchements par voie basse. Un record ! « Mais ça fait longtemps qu'à Besançon on dénonce l'épisiotomie systématique », affirme modestement le patron de service. « On a d'ailleurs toujours été sous la limite des 30% recommandés par le Collège National des Gynécologues-Obstétriciens », ajoute-t-il. Ce seuil a du être instauré en 2005 par les experts, car en France, on dépassait vraiment les bornes. Depuis les années 70, cette incision chirurgicale du périnée, censée faciliter la sortie du bébé et prévenir l'incontinence urinaire, était devenue monnaie courante. Dans les salles d'accouchement, c'était même le geste technique le plus fréquent après la section du cordon ombilicalŠ Quasiment toutes les femmes qui donnaient naissance pour la première fois y avaient droit. Les taux d'épisiotomie fleuretaient alors avec les sommets : plus de 80%. Il faudra attendre la fin des années 80 et la pression d'associations de femmes, essentiellement dans les pays anglo-saxons, pour voir cette pratique peu à peu remise en cause. Des études sont alors lancées. Sans appel : il n'y a aucun bénéfice à pratiquer systématiquement une épisiotomie. Face à ces résultats, l'OMS recommande officiellement de descendre en dessous de 10%. Bons élèves, la Grande-Bretagne et la Suède affichent rapidement des scores honorables : 13% et 6%. Mais en France, on revient de tellement loin que le Collège des Gynécologues-Obstétriciens réclame de ne pas dépasser les 30%. Difficile de changer les pratiques en un jour.

Depuis il y a des progrès. Une étude publiée en 2010 montre que le taux moyen national dans les CHU est descendu à 32,4%. Mais les écarts entre les établissements sont encore surprenants : de 3,6% à l'époque de Besançon à 61,7% à l'hôpital Necker à Paris ! Le Pr Riethmuller, qui affiche aujourd'hui le taux le plus bas en France, s'interroge. Mais pas question pour autant de taper sur ses collègues. « La majorité des CHU de niveau 3 sont désormais en dessous du seuil des 30%, et cette tendance devrait encore se renforcer », espère-t-il. De toute façon, pour lui, il n'y a plus à tergiverser : «  En dehors de quelques rares indications, comme un périnée trop court ou un bébé en souffrance qu'il faut sortir au plus vite, cette incision chirurgicale ne doit pas être envisagée qu'au cas par cas. Et pour éviter ce geste traumatisant pour beaucoup de femmes, il suffit juste parfois de prendre son temps. « On n'est pas des ''tireurs-chiens'', dit-il en riant. Une, voire deux minutes supplémentaires pendant l'expulsion peuvent suffire à l'éviter. » Et il a d'autres ''trucs''encore. Pour les accouchements en siège par exemple, alors que bon nombre de maternités ont le coup de ciseau facile, son équipe dépasse à peine les 10% d'épisiotomies, grâce à de subtiles man¦uvres obstétricales. Même résultat ou presque pour les extractions instrumentales car « on choisit plus volontiers la ventouse-qui n'augmente pas le diamètre de présentation de la tête du bébé que les forceps », explique-t-ilŠ

Et à l'en croire, il n'y aurait pas dans son service plus de déchirures graves qu'ailleurs. Au 3e et 4e degrés, ces lésions sévères du périnée peuvent entraîner une incontinence urinaire, voir fécale. Tout au plus, il concède un peu plus de petites déchirures, mais qui sont moins douloureuses qu'une épisiotomie et qui cicatrisent surtout beaucoup plus vite. « Chez nous, près de cinq femmes sur six ressortent avec un périnée quasi intact », lance-t-il, tout fier.

Nathalie en profite pour ranger un peu. Et il suffit de la regarder trottant comme si de rien n'était, ou se baissant pour attraper d'un geste le papier tombé par terre, pour se convaincre qu'une petite déchirure vaut mieux qu'une épisio. « J'ai accouché il y a deux jours et je ne sens déjà plus rien. Alors que pour mes aînés, avec l'épissoir, j'ai dégusté. Sans parler des soins quotidiens pas vraiment rigolos pendant la cicatrisation, qui a duré plus d'une semaine. « Amandine, elle a eu une déchirure un peu plus importante qui s'est soldée par deux points de suture sur le périnée, mais le muscle a été à peine touché », insiste-t-elle. « Évidemment, juste après, c'est un peu sensible, mais j'ai quand même pu m'asseoir tout de suite et marcher sans problème. » ...

Avec une vingtaine d'incisions du périnée par an, difficile en effet pour les élèves sages-femmes et les étudiants en médecine de Besançon de maîtriser ce geste. En cinquième année, Mélanie avoue avoir participé à plus de 80 accouchements, sans jamais avoir vu une seule épisiotomie. « Dans ma promo, certains en ont quand même fait une ou deux », lance-t-elle comme pour se rattraper. Le Pr Riethmuller reconnaît qu'il y a de fait un problème de formation. Des séances de vidéo, des mannequins avec des périnées en silicone et des ateliers de suture avec des tissus porcins sont donc désormais prévus dans le programme des étudiants.

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