L'allaitement prolongé reste très rare en France, à l'inverse d'autres pays développés, la "proximité mère-enfant" suscitant la méfiance d'une partie du corps médical, déplore le pédiatre Marc Pilliot, président de la Coordination française pour l'allaitement maternel (Cofam).
La promotion de l'allaitement maternel par les pouvoirs publics, depuis une dizaine d'années, s'accompagne-t-elle d'un allongement de sa durée ?
"Non. Selon les derniers chiffres, qui remontent à 2004, 60 % des femmes allaitent à la maternité, mais seules 15 % le font encore à six semaines. En France, dès qu'une mère allaite plus de trois mois, elle entre dans le clan des pionnières. Par comparaison, l'allaitement exclusif pendant au moins six mois est la norme dans les pays scandinaves, comme le recommande l'Organisation mondiale de la Santé. Il est dommage de sevrer si vite, parce que les bénéfices pour la santé de l'enfant sont plus nets si l'allaitement dure".
Pourquoi cette particularité française ?
"Beaucoup de mères se découragent assez tôt, souvent parce qu'elles sont mal accompagnées. Internet a amélioré les choses en apportant une meilleure connaissance de l'allaitement, mais ça ne concerne que les femmes qui ont les moyens -financiers et intellectuels- d'accéder à l'information. Dans les milieux précaires, les femmes n'ont pas assez confiance en elles. Par ailleurs, le corps médical manque de culture de l'allaitement. On a notamment un discours "psy", en France, qui a très peur de la proximité physique entre la mère et l'enfant. Il suffit de se souvenir des propos du pédopsychiatre Marcel Rufo qui avait assimilé l'allaitement au-delà de sept mois à un abus sexuel".
Ces réticences ne vous semblent pas justifiées ?
"Pas du tout. Et je ne peux pas m'empêcher de rapprocher cette obsession du sevrage, de la séparation, du fait qu'on est le pays qui consomme le plus d'anxiolytiques au monde. On sait que la proximité physique consolide la base de sécurité d'un bébé, qui lui permet ensuite d'explorer le monde. Cette base met au moins huit ou neuf mois à se construire. Quant aux allaitements très prolongés, pendant plusieurs années, les études menées dans d'autres pays montrent qu'ils donnent des adolescents équilibrés, qui ne sont pas du tout "ventouses". Ils ont envie de quitter la maison, comme les autres, mais n'éprouvent pas le besoin de claquer la porte".
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