lundi 22 février 2010

Des lieux pour naitre...

Source : Lettre Périnatalité

 VERCOUSTRE (Laurent), GODART (Elsa) / dir.
Mémoire de master de philosophie, 2008
Université de Marne la Vallée

(Laurent Vercoustre est gynécologue-obstétrien au Havre et l'auteur de "Faut-il supprimer les hôpitaux ? L'hôpital au feu de Michel Foucault", L'Harmattan 2009)

<http://www.bdsp.ehesp.fr/Base/Scripts/ShowA.bs?bqRef=408308>http://www.bdsp.ehesp.fr/Base/Scripts/ShowA.bs?bqRef=408308

Des lieux pour naître.....Aspects éthiques et épistémologiques des espaces médicaux de la naissance

L'assignation du lieu de naissance à des espaces médicalisés pour toute une société est-elle légitime ? Telle était la question qui formait le point de départ de notre réflexion. Question futile au premier regard. Question futile d'abord parce que cet état de fait n'est pas contesté par la presque totalité de nos concitoyens. Il s'agit là d'une question que la société dans son ensemble ne se pose pas. Question futile, d'autre part, parce qu'elle ne semble pas donner prétexte à une discussion d'ordre philosophique ou éthique. Elle pourrait simplement renvoyer à un simple problème d'organisation de la médecine ou bien mettre inutilement en évidence les revendications de quelques marginaux. En approfondissant la question nous avons découvert qu'elle s'ouvrait en réalité sur des enjeux majeurs: celui de l'inadéquation de l'hôpital à la structure de pensée de médecine moderne, celui de la formidable emprise de la médecine sur notre société. D'autre part nous avons pris conscience que dans cette question se nouait notre propre ambiguïté : celle d'une foi très profonde dans la rationalité médicale et du sentiment que cette rationalité dérobait quelque chose à nos patientes.

Nous avons voulu, dans ce travail, donner à cette ambiguïté ressentie au quotidien la consistance d'une réflexion philosophique. Nous avons cherché à comprendre, à prêter l'oreille à une revendication qui, depuis toujours, nous paraissait futile et irréaliste.

Il nous est alors apparu que la réponse se jouait à deux niveaux. D'abord au niveau de l'objectivité médicale. Celle-ci n'apporte pas d'argument décisif pour condamner catégoriquement l'accouchement à domicile. Nous avons montré l'incapacité de la rationalité médicale et en particulier de la théorie statistique à circonscrire le problème dans ses propres limites. Deshospitaliser la naissance, ce n'est pas aller contre la rationalité médicale, c'est, au contraire aller dans son sens.

A l'arrière plan de nombreux débats médicaux, au delà du discours scientifique, jouent, souvent à l'insu des médecins eux mêmes, des forces très diverses liées aux pouvoirs, aux structures sociales, aux conceptions morales et philosophiques, aux traditions, aux habitudes. Il était, en réalité, plus fécond d'examiner cet arrière plan pour comprendre la configuration actuelle du problème, les résistances à une déshospitalisation de l'accouchement. Nous avons alors tiré parti des recherches de Michel Foucault et de son équipe sur la naissance de la clinique et son intrication avec les transformations de l'hôpital au XVIIIe siècle. Foucault lui-même nous y invitait: «Tous mes livres, disait-il, sont, si vous voulez, des petites boites à outil. Si les gens veulent bien les ouvrir, se servir de telle phrase, de telle idée, telle analyse comme d'un tournevis ou d'un desserre boulon, pour court-circuiter, disqualifier les systèmes de pouvoir, y compris éventuellement ceux là même dont mes livres sont issus... eh bien c'est tant mieux.» C'est en cherchant à enraciner ses analyses dans un va-et-vient permanent et parfaitement maîtrisé entre passé et avenir, que Foucault élabore une grande partie de sa critique de notre modernité. Ce mode de pensée aussi séduisant qu'il soit, mérite quelques réserves. Le matériel d'archive à partir du quel s'exerce tout une rationalisation est-il exhumé en toute objectivité? On a souvent reproché à Foucault de composer des récits un peu mythiques, rédigés en puisant de manière un peu hâtive dans un matériau historique parfois mal maîtrisé, et en articulant, autour, des concepts sollicités pour les besoins la cause. Cependant il nous a paru intéressant d'explorer cette piste et de la proposer comme un principe d'intelligibilité, d'inspiration pour comprendre et dénouer notre problème auquel est intriqué le problème plus vaste de l'hôpital public et de son marasme chronique. Par ailleurs l'interprétation que nous tirons de l'analyse généalogique de l'hôpital avec «les outils Foucault» n'engage que nous. Il n'est pas certain que Foucault lui-même soit parvenu aux mêmes conclusions et à disqualifier comme nous le faisons l'hôpital moderne. Si l'on veut libérer la naissance des espaces hospitaliers c'est, nous pensons, en démontrant ainsi la profondeur de son enracinement. C'est en tout cas à partir d'une réflexion sur la structure actuelle de la pensée médicale qu'on l'on pourra réformer efficacement l'hôpital.

Que penser des maisons de naissance ? Cette perspective n'est certainement pas la bonne. Les maisons de naissance vont recréer des structures qui ne seront ni l'hôpital, ni la maison. Elles seront l'enjeu du déploiement d'autres formes de pouvoir. Il faut ici souligner que le projet de maison de naissance est largement soutenu par les sages femmes et qu'il représente pour elle une possibilité d'affirmer leur autonomie par rapport aux médecins. Cette interposition du pouvoir des sages femmes entre les patientes et le médecin a toujours été bénéfique, car dans le jeu de rôle qui s'est instauré entre les sages femmes et les médecins, elles représentent la défense des femmes, la protection des femmes contre les excès de la médicalisation. Supprimer cette dialectique en isolant les sages femmes dans des maisons de naissance ne nous paraît pas judicieux voir très risqué. Et puis il y a la signification profonde du domicile, du fait d'être chez soi, dans ses repères, dans son intimité, au milieu des siens. Levinas décrit magnifiquement le rapport à soi si particulier que la maison permet d'établir; la maison c'est la possibilité de recueillement, «le moi s'ajourne et se donne un délai dans la maison», «à partir d'elle, la séparation se constitue comme demeure et habitation. Exister signifie alors demeurer», c'est le lieu où «la familiarité et l'intimité se produisent comme «une douceur qui se répand sur la face des choses.»; Levinas considère que l'habitation c'est le féminin, «le féminin comme l'un des points cardinaux de l'horizon où se place la vie intérieur.»

Nous avons montré que l'assignation du lieu de naissance à l'hôpital a une autre signification plus profonde, plus inquiétante et moins innocente qu'une inadéquation de notre système de soins à une structure de pensée. Cette assignation manifeste toute la volonté d'une main mise, d'un contrôle, de chaque individu par la médecine, et ce, à ce moment si crucial qu'est la grossesse et la parturition. Tout indique dans l'organisation actuelle, l'extrême vigilance de notre société à l'égard de son propre renouvellement. Ainsi dès sa naissance, l'individu est pris en main par la médecine. La naissance à l'hôpital devient, comme nous le craignions, le symbole de toute une destinée; celle d'un l'individu, qui se trouve dans nos sociétés, dès sa naissance, dans ce face à face devenu presque exclusif avec la médecine. D'un individu qui va demander de plus en plus à la médecine de lui dire sa «vérité». A partir de cette «vérité» que la médecine prétend avoir sur le lieu de naissance, l'individu, la mère va lui demander sa «vérité» sur la façon d'allaiter, de tenir son enfant. Elle demandera ou plutôt la médecine lui proposera ensuite de lui dire sa «vérité» sur sa sexualité pendant et après la grossesse. La médecine de plus en plus éclipse les autres systèmes de valeurs qui autrefois donnaient un sens à ces questions.

Tout au long de notre réflexion, nous avons éprouvé une certaine difficulté à dire, à définir, ce qui précisément n'appartenait pas à la médecine, ce quelque chose, à la limite de l'exprimable, où il est question d'une certaine idée de l'homme. Il convient peut être justement de ne pas tenter de mettre des mots sur ce quelque chose, de le laisser en suspens, de ne pas remplir cet espace, de le rendre ainsi disponible aux patientes et à nous même, d'en chasser tous les pseudo humanismes médicaux bénissant. Notre éthos philosophique de médecin philosophe ou plutôt apprenti philosophe ne doit-il pas nous inviter à creuser cet espace et à reconduire sans cesse l'attitude socratique du questionnement. Alors pourquoi, la naissance à domicile ne serait-elle pas précisément cet espace ?




















Aucun commentaire: