mercredi 1 décembre 2010

L’ « accouchante », le soignant et la naissance

 
L’ « accouchante », le soignant et la naissance

À vrai dire, je n’ai jamais compris comment les médecins pouvaient oser dire aux femmes comment il fallait qu’elles accouchent. D’autant que, lorsque j’ai commencé mes études les médecins pour la plupart étaient des hommes.

Lorsque j’ai terminé mes études, au Centre hospitalier du Mans (France) à la fin des années 70, il y avait à la maternité une petite équipe de médecins assez jeunes. Et bien sûr, beaucoup de sages-femmes - mais pas un seul homme parmi elles : on trouvait encore, à l’époque, que ça n’était pas un travail pour un homme. Ça n’a pas beaucoup changé depuis.

L’un des médecins présents, le meilleur gynécologue-obstétricien que j’aie jamais connu, avait fait aménager l’une des salles d’accouchement en « salle nature ». L’accouchante (je trouve ça moins barbare que « parturiente ») y était installée sur une estrade, allongée sur un matelas très souple. L’estrade pouvait se transformer en lit d’accouchement (avec des étriers) en cas de besoin, la patiente pouvait déambuler comme elle voulait, elle n’était pas enchaînée à un appareil de monitorage, et on laissait les jeunes parents tranquilles s’ils  voulaient qu’on leur fiche la paix.

Cet obstétricien était souvent accusé d’être « trop gentil », « trop compréhensif », trop « féminin » (donc, « pas assez autoritaire ») avec les femmes. Il n’était pas assez « interventionniste ». 

Ce que beaucoup trop de soignants ont tendance à oublier, c’est que l’accouchement est un moment difficile, certes, mais intime et… physiologique – autrement dit « normal ». Ce qui n’est pas « normal » c’est de le transformer en rodéo médical ! Le souci légitime de s’assurer qu’un accouchement se passe bien ne peut en aucune manière se substituer à la manière dont les premières intéressées souhaitent que ça se passe. De plus, l’idée selon laquelle les femmes prendraient des risques inconsidérés pour accoucher est, au mieux, paternaliste ; au pire, stupide : je ne connais pas de femme qui a envie de mourir en couches,  de faire mourir son enfant ou de le voir naître avec une complication obstétricale. Toutes sont prêtes à entendre les précautions à prendre. Ça ne les oblige cependant pas à se laisser imposer des gestes ou des procédures sans intérêt démontré pour la bonne santé de leur enfant. Les examens pelviens répétés, le monitoring continu, la position allongée permanente, l’épisiotomie quasi-systématique ne sont pas des procédures indispensables : l’immense majorité des accouchements se passent bien sans elles.

On peut objecter que toutes les femmes ne connaissent pas les dangers et les réalités d’un accouchement et ne peuvent pas toujours déterminer ce qui sera, ou non, utile. Certes, mais ça ne justifie pas de les traiter comme des demeurées. Même sur le point d’accoucher une femme (ou un couple) peuvent prendre des décisions ! D’autant que tout le monde veut la même chose : un accouchement qui se passe bien pour la mère et l’enfant, et sur lequel on ait le moins possible besoin d’intervenir.

Médecin de famille depuis près de trente ans (et père de famille depuis presque autant), j’ai toujours eu le sentiment que grossesse et accouchement étaient pour beaucoup de soignants (surtout les médecins mais pas toujours qu’eux) des occasions de « normaliser » le comportement ou les croyances des femmes. Un souhait aussi élémentaire que celle de pouvoir se mettre debout et déambuler dans la salle de travail parce que c’est moins pénible que rester allongée – « Sur le côté droit, Madame, sur le côté droit, sinon ça comprime votre veine cave et c’est pas bon pour le bébé » - ne devrait pas se voir opposer une fin de non-recevoir aussi arbitraire qu’anti-scientifique (quand une accouchante est debout, plus rien ne la comprime, sa veine cave… et la gravité aide la tête à descendre dans le canal pelvien).

Il m’est arrivé de suivre des femmes qui souhaitaient accoucher chez elles, parce qu’elles avaient vécu un ou des accouchement(s) à l’hôpital, qui s’était (médicalement parlant) très bien passé mais leur avait laissé (humainement parlant) un souvenir désastreux. Tout ce qui était présenté comme médicalement nécessaire n’avait contribué qu’à leur donner le sentiment d’être des objets dans les mains des médecins, et non des femmes adultes et pleinement soutenues à l’occasion de cet évènement –phare de leur vie.

Au début de ma carrière, j’étais bien embêté par cette requête. Je n’avais vu que des accouchements en maternité, et l’idée d’un accouchement à la maison me faisait très peur. Mais à la même époque, un obstétricien-mandarin réputé de France (Yves Malinas) publiait dans un journal destiné aux omnipraticiens un article très clair expliquant comment accoucher une femme à domicile. À ceux qui auraient protesté il répondait très justement que 1° parfois, les accouchements se déclenchent sans prévenir ; 2° que l’immense majorité des accouchements se passent très bien et sans intervention humaine (ou très peu) ; 3° que son article visait surtout à expliquer au soignant que, mis dans cette situation, il ne fallait pas en faire trop : Primum non Nocere.

Après avoir lu cet article, mon attitude s’est beaucoup détendue. Elle s’est encore plus détendue après que j’ai rencontré quelques sages-femmes de ville et parlé avec elles de leur pratique.

Aujourd’hui, les connaissances ayant beaucoup progressé depuis les années 80, je suis encore plus détendu. Une femme (un couple) est non seulement en droit de définir ce qu’il veut ou ne veut pas (ou, plus précisément : de « démédicaliser » sans risque son accouchement). Et les soignants sont suffisamment armés et expérimentés pour aider cette femme à mettre son enfant au monde de la manière la plus intime et la moins interventionniste possible, en partageant ce qu’ils savent avec ceux qu’ils sont là pour servir, et non pour asservir.



Marc Zaffran, M.D. (Martin Winckler)

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