Source : SameStory
Il s'agit d'un article que j'ai viens de recevoir, et que je soumets à votre réflexion. Il s'agit ici d'une version adaptée d'un article publié dans «À Babord», revue québecoise autonome d'information critique et de débat social et politique.
C'est assez long, mais on trouve une prise de position hyper intéressante.
LA MEDICALISATION DE LA NAISSANCE
La médicalisation de la naissance dans les pays industrialisés peut se définir comme l'appropriation progressive et quasi complète par le secteur médical de l'une des expériences humaines les plus fondamentales. Cette expérience, faut-il le rappeler, a pour fonction d'assurer la pérennité de l'espèce et celle des sociétés. Elle revêt de par ce fait une valeur inestimable. Cette appropriation a été grandement facilitée par le déplacement de l'accouchement du domicile vers les centres hospitaliers et ce, pour l'ensemble des femmes enceintes, sans égard au fait qu'elles soient ou non en bonne santé, ni qu'elles aient ou non une grossesse « normale » (plus de 80% des grossesses étant qualifiées ainsi).
La médicalisation de la naissance est abordée ici en tant que phénomène social, et nous ne cherchons pas à discuter la prise en charge médicale des femmes enceintes malades ou qui présentent une grossesse pathologique. (...)
L'INDUSTRIALISATION DE LA NAISSANCE
La médicalisation de la naissance est un phénomène social qui a fait l'objet au cours des dernières décennies de plusieurs recherches (1). Ces dernières ont démontré son caractère contrôlant et coercitif. Par exemple, l'interdiction faite aux femmes en travail de manger ou de boire, ne les aide pas à accoucher, au contraire. Tandis que des études (données probantes) ont démontré la nécessité de s'hydrater durant le travail, cela reste interdit dans de nombreux hôpitaux en France ou au Québec (2). Ceci illustre le fait que les femmes en travail, leurs partenaires de même que les professionnels impliqués dans l'accouchement sont contraints d'agir de façon à répondre prioritairement à des normes fixées par les routines hospitalières et les protocoles médicaux (3).
En outre, le déplacement de la naissance à l'hôpital a été l'occasion d'expérimenter sur les moyens à mettre en oeuvre pour mieux contrôler le temps imparti à l'accouchement. Dans un hôpital particulièrement achalandé en Irlande, une équipe a mis au point, à la fin des années soixante, un modèle de gestion active du travail (active management of labour) afin de s'assurer que la durée d'un premier accouchement ne dépasse pas 12 heures (4). Ce modèle a fait école. Quand une femme entre spontanément en travail (début des contractions), on utilise de routine des interventions telle que la rupture de la poche des eaux qui permet d'augmenter l'efficacité mais aussi l'intensité des contractions. Si la progression du travail ne se situe pas à l'intérieur des normes établies, on accélère le travail, mais aussi l'intensité des contractions, en injectant, via un soluté, des hormones synthétiques à la mère. La surveillance du bébé est assurée le plus souvent grâce à un appareil qui enregistre en continu sa fréquence cardiaque, mais qui limite la mobilité de la mère. Enfin, on accélère la naissance proprement dite en effectuant une épisiotomie (coupure du périnée), mais celle-ci a pour effet d'augmenter les risques de déchirures graves et les douleurs dans la période postnatale.
Le modèle productiviste et standardisé de la naissance a permis de diminuer la longueur du travail et donc la durée du séjour des femmes en salle d'accouchement. Tout comme Ford a mis au point la chaîne de montage la plus efficace possible, le modèle productiviste de la naissance a un effet positif sur l'organisation et la rentabilité des soins d'obstétrique en Centre Hospitalier.
Mais la gestion active du travail a rendu l'accouchement beaucoup plus douloureux et étranger au corps des femmes. Et pour y remédier, on a généralisé l'utilisation de la péridurale, privilégiant une solution technique et pharmaceutique.
HORS DE L'HOPITAL, POINT DE SALUT !
Dans bien des milieux l'accouchement n'a pas bonne presse. Il y a quelques années une émission de vulgarisation scientifique à Radio Canada présentait un documentaire de la BBC dans lequel on affirmait que sa propre naissance est l'expérience la plus dangereuse que chaque être humain est amené à traverser. Ce genre d'affirmation permet de continuer à clamer que c'est à l'hôpital que les femmes doivent accoucher, si elles veulent assurer leur sécurité et celle de leur bébé. Cette affirmation, basée sur des opinions, est présentée comme une vérité scientifique. Or, toutes les études (données probantes) continuent de démontrer que pour des femmes en bonne santé présentant une grossesse normale, l'accouchement à la maison ou en maison de naissance est autant sécuritaire que l'accouchement à l'hôpital (5).
Il faut insister sur le fait que l'utilisation d'affirmations erronées nourrit efficacement la peur de l'accouchement, assurant ainsi la soumission de beaucoup de femmes aux interventions. Ce qu'on «oublie» de dire aux femmes c'est l'engrenage qui en résulte. Le meilleur exemple reste celui de la péridurale.
La péridurale ne fait pas seulement soulager la douleur,
elle est associée à une cascade d'interventions : soluté, hormones synthétiques, cathéter dans la vessie, perte de sensation à la poussée, forceps, ventouse, épisiotomie voire césarienne. L'accouchement dans ces conditions devient pour certaines femmes une expérience tellement dépréciée que plusieurs ne veulent même plus l'envisager. Et de fait nous sommes aujourd'hui confrontés à une demande grandissante pour les césariennes électives (programmées). Or celles-ci comportent plus de risques pour la mère qu'un accouchement vaginal.
Il est grand temps que les effets iatrogènes liés à la médicalisation de la naissance soient examinés comme des enjeux de santé publique.
L'accouchement est la première cause d'hospitalisation des femmes en âge de procréer, les exposant ainsi inutilement à des interventions mais aussi aux maladies nosocomiales, telle que l'infection à la bactérie C Difficile.
La médicalisation prend de l'ampleur, on est passé de 12 à 21% d'induction du travail (déclenchement artificiel de l'accouchement) en dix ans au Canada et le taux de césarienne est en croissance, il se situait autour de 21% en 2001(6). Plus grave encore, de moins en moins de médecins, d'infirmières ou d'étudiants ont été témoins d'accouchements spontanés et physiologiques. Ils sont aussi de moins en moins nombreux à savoir accompagner une femme ou un couple à travers ce processus subtil.
Dès lors qu'un événement aussi important que la naissance d'un enfant est perçu comme éminemment dangereux, le réflexe naturel de tout un chacun est de demander plus de sécurité. La réponse à ce besoin, dans un contexte de médicalisation, consiste à proposer toujours plus d'interventions. Nous assistons ici à une dérive sécuritaire qui n'est pas sans rappeler celle liée à la menace terroriste. Elle utilise les mêmes ressorts : fausses affirmations, manques d'informations et interventions débridées aux conséquences parfois incontrôlables.
LES RESISTANCES
Depuis 30 ans, un mouvement social s'est organisé au Québec en faveur de l'humanisation des naissances. En 1980, le colloque de l'Association pour la Santé Publique au Québec (ASPQ) « Accoucher ou se faire accoucher » a été un événement fédérateur, réunissant plus de dix mille personnes à travers le Québec. Depuis 25 ans l'engagement militant des groupes membres du Regroupement Naissance Renaissance témoigne d'un mouvement pour l'humanisation des naissances ancré dans la population et les communautés. La victoire pour la légalisation de la pratique des sages-femmes a été obtenue de haute lutte en 1999. L'Alliance Francophone pour l'Accouchement Respecté (AFAR) basée en France s'est constituée en réseau grâce à Internet (7). Elle participe activement aux groupes de travail du Collectif Interassociatif autour de la Naissance (CIANE) qui interpelle les autorités sanitaires pour exiger la prise en compte des données probantes dans l'organisation des soins en obstétrique, et rappelle que les femmes qui accouchent ont des droits qui doivent être respectés (8).
En plus de l'engagement collectif, les résistances se déclinent individuellement sur plusieurs tons. Elles vont de l'exception que constitue l'accouchement non assisté, réfléchi et assumé, au développement de l'accouchement à l'hôpital avec une accompagnante présente et soutenante tout au long du travail, en passant par l'accouchement à la maison, en maison de naissance ou à l'hôpital avec des sages-femmes qui valorisent et renforcent le caractère physiologique et profondément humain de cette expérience, sa dimension sociale et communautaire.
A travers ces expériences nous reconnaissons le désir intense de femmes et d'hommes de faire de la naissance de leur bébé un événement singulier dans l'intimité de leur foyer, là où ils se sentent en sécurité (9). Nous mesurons la profonde transformation associée au premier accouchement, dont on sort souvent épuisée, mais à travers lequel on vient de prendre la mesure du courage, de la persévérance, de la confiance qui nous habite, et dont on aura besoin pour élever cet enfant. Nous rendons compte du fait que l'accouchement s'inscrit dans un moment où le temps est suspendu et n'obéit qu'au rythme des contractions. Nous affirmons que la douleur de l'accouchement est non seulement supportable mais qu'elle est une alliée dès lors qu'on l'a acceptée, et, si tel est le besoin, que l'on est soutenu.
Il est urgent de raconter de belles histoires d'accouchement et ce faisant nourrir nos filles et nos garçons d'histoires de femmes qui accouchent sans entraves, en toute sécurité et en toute liberté (10).
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